Identification

Orphée du fleuve, Luc Vidal (6 & Fin) - Au bord du monde

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) le 07.07.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Orphée du fleuve, Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, 1999, trad. géorgien Anne Bouatchidzé, 197 pages, 18 €

Orphée du fleuve, Luc Vidal (6 & Fin) - Au bord du monde

 

6. Au bord du Monde

Ce long poème dédié à Jacqueline ouvre le jardin des mots de « l’aube de demain » encore inconnue et qui « sera mouillée par l’averse de ta nuit amoureuse ». L’amour chanté y est souffle de liberté, ouvrant les volets du bonheur sur la ville et le corps de la femme aimée (« je me sens libre et mes chiens ne mordent plus »), le poète peut sentir en lui « se libérer les otages (…), rendu au cœur libre du monde ».

Le poète chante et enchante la présence et la sensualité de la femme aimée, le corps de celle-ci ouvrant une « ville d’amour », et compare sa « beauté d’amour » à la fraîcheur vibrante et parfumée des éléments naturels,

« ce qui m’importe c’est l’œillet rose teinté de rouge qui est

la fleur nue de l’entrejambe

les pluies chaudes quand tu t’abandonnes

un orgeat tremblé les solitudes apprises

parce qu’elles mènent au bonheur »

Est affirmée ici, Au bord du Monde, une beauté insurrectionnelle plus florissante et fertile que les combats politiques (« c’est la beauté d’amour qui est insurrectionnelleet pas le reste (les révolutions ça mène à l’effroyable négation / d’amour »).

Le bord du monde est fragile et le poète amoureux ne veut pas perdre de temps, ne pas perdre un souffle de tendresse du corps aimé qui « (le) fait lever des moissons énamourées dans (son) cœur » : « je ne veux pas être en retard Il y a un an un hiver nous liait », « j’ai dans mes paumes dix mille vies à vivre ». Le temps patient de l’amour presse, puisqu’il n’y a pas de désir ni de souvenir à perdre un seul instant de cette alliance musique avec celle qui ouvre et donne accès – clé familière (des) désirs – à « la mémoire amoureuse », à « la folie d’amour », à « la source des mots » où la poésie « saisit l’âme vibrante des baisers ».

Mais il faut, devant la force et la beauté printanière et insurrectionnelle des mots, en l’occurrence des mots qui traversent l’Orphée du Fleuve de Luc Vidal, laisser entrer la poésie avec l’air des oiseaux, et la réécrire sur la page de notre écoute, de notre désir d’aller à sa rencontre. Cédons la parole donc au poète :

 

« Aux confins des solitudes il y a nos voix

qui se touchent et tendrement arrosent nos jardins de patience

et je t’imagine donnant ta leçon aux infirmiers et aux infirmières

aujourd’hui à l’hôpital cerné par les brumes bretonnes

tes mains souples et douces me deviennent lanternes

dès qu’elles me touchent

les fleurs de l’audace amoureuse

voilà un programme d’incantation

poème bleu de l’attente poème rouge de l’offrande

dans quelques banlieues lointaines où nous irons

manger et boire à la santé de la vie

Alerte alerte les chagrins des villes arrivent à la lisière des brumes

Carte blanche est donnée aux sentinelles prêtes à la riposte

le printemps affûte ses réponses secrètes et des aubes savantes

ça gronde de colère la foule est enragée

Libre libre est le cri qu’elle pousse et qu’elle n’entend pas dans son cœur

La sève courage aura raison des temps jacobins et de la peur de l’autre

mon amour la Révolution est toujours une fleur fanée avant de naître

moi je suis à la table de l’écrit

où lèvent devant mes yeux ces paroles d’aimer

toi au chevet des mains à bercer des sommeils enfantins

un journal blessé une encre froide

c’est un peu sa fièvre de décembre

et ton enfant imaginaire sans sexe inventé

qui te bouge doucement doucement

je vois

ces fronts de rêve qui moissonnent la parole de Bachelard

écoutée l’autre nuit à la radio quand Audiberti lui découvrait sa poésie

ton corps endormi qui promet au réveil une fresque amoureuse

il y a affluence de désirs comme un grand soir de manifestation

comme un regard double dans le miroir du privilège

un chien se gratte le derrière de l’oreille

les réverbères abritent des brumes de joie

un cheval en bois rouge, le dernier de la fête

se cache impasse Vignoles

les jardins emmurés ont perdu la liberté des feuilles

autour de la librairie Lanoë des livres transparents

carnets de lumière prennent le maquis

des oiseaux étranges poussent des cris silencieux

ce voyage dans l’autobus te prend dans New York onirique

le voyageur de l’invisible ouvre la porte

un récit de cinq lignes t’attend chez moi

attente brève rouge lueur baiser fulgurant

promesse des sources ton ventre de bonheur et tu me parles

ce serait fabuleux si le chant métallique des cigales

éclatait dans l’hiver breton

mon amour rassemblé tu tiens dans ta main

une petite bougie bleue qui me fait deviner ta présence

tes yeux sont allumés ton ventre aussi

et j’aime tes lèvres ouvertes mouillées et nues »


Luc Vidal, Au bord du monde, III. Orphée du Fleuve

 

Murielle Compère-Demarcy

 


  • Vu: 3140

A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


Lire toutes les publications de Murielle Compère-Demarcy dans la Cause Littéraire


Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.