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Critiques

Nous, l’Europe, Banquet des peuples, Laurent Gaudé (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 07 Juin 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Poésie, Actes Sud

Nous, l’Europe, Banquet des peuples, mai 2019, 192 pages, 17,80 € . Ecrivain(s): Laurent Gaudé Edition: Actes Sud

Faire un tour d’Europe comme pour appuyer son existence, ce qu’elle fut en marche et ce qu’elle est.

Voilà le premier ressenti de ce livre de longs poèmes qui eut pu aussi être un essai :

« Vous vous effrayez de voir que d’un coup, l’inquiétude devient l’humeur des peuples ? Pensez à Victor Hugo et à son exil. Pensez à Garibaldi qui a traversé l’Atlantique, s’est battu au Brésil, en Argentine, en Uruguay… Il n’y a pas d’époque paisible ».

L’auteur appelle à poursuivre la belle aventure : « Jeunesse ! Jeunesse ! Il nous faut ton sursaut ».

La progression historique, économique et inventive vient ainsi à la rescousse de Laurent Gaudé à démontrer. Le texte, alors, prend tout son sens dans une série de courtes phrases suscitant l’action : « Succession de trouvailles, d’avancées, de modifications/. De brevets déposés qui viennent améliorer les précédents/ Ou les piller/ Des objets apparaissent/ Qui sont un peu fous/ Un peu encombrants/ Font des sons étranges/…/ Rouages/ Moteurs/ Pistons/…/ Bientôt arriveront les trams/ les voitures/ les métros », l’auteur expliquant avec force d’exemples « parce que le jet de vapeur mène directement à nous/ Nous sommes nés de cela ».

Coucher de soleil et autres croquis de la Nouvelle-Orléans, William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 06 Juin 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, USA, Nouvelles, Folio (Gallimard)

Coucher de soleil et autres croquis de la Nouvelle-Orléans (New Orleans Sketches), trad. américain Michel Gresset, 112 pages, 2 € . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Folio (Gallimard)

Juste neuf nouvelles, très brèves, extraites du recueil « Croquis de la Nouvelle-Orléans » (Gallimard, Du Monde Entier) et cela suffit à être éclaboussé par le génie littéraire absolu du Maître du Mississippi. Il n’en faut pas plus pour plonger dans les rues de la Cité du Jazz, des pauvres Blancs et des Noirs, plus pauvres encore si c’est possible. L’art du portrait chez Faulkner confine au surgissement des êtres hors du temps et de la page. Un court paragraphe suffit à camper une figure du Sud à jamais.

« “Bas les pattes !” hurla-t-il. La façon dont il se tenait debout sur sa seule jambe en faisant tournoyer sa béquille autour de lui comme une hélice d’avion tenait du miracle. “M’arrêter chez moi dans ma chambre ! M’arrêter ! Où sont donc les lois et la justice ? Est-ce que je ne fais pas partie de la plus grande république de la Terre ? Est-ce que chaque travailleur n’a pas le droit d’être chez lui, et est-ce que je n’y suis pas ici ? Fiche-moi le camp, maudit Républicain ! Parce qu’il a un boulot fédéral, il se croit tout permis”, déclara-t-il aux badauds d’une voix rauque et roublarde. D’un grand geste, il ramena sa béquille sous son aisselle et prit une attitude avantageuse » (Miroirs de la rue de Chartres).

Eloge du risque, Anne Dufourmantelle (par Sophie Galabru)

Ecrit par Sophie Galabru , le Jeudi, 06 Juin 2019. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres, Rivages poche

Eloge du risque, 320 pages, 9 € . Ecrivain(s): Anne Dufourmantelle Edition: Rivages poche

 

Au risque de la responsabilité

Eloge du risque est un appel au lecteur à s’engager envers l’Autre – l’inconnu, l’étranger, l’irréfléchi, l’évènement, autrui. Anne Dufourmantelle mesure parfaitement cet appel à l’incommensurable lorsqu’elle commence par écrire : « La vie est un risque inconsidéré pris par nous, les vivants » (p.1). La grande inversion de l’ouvrage est d’affirmer que ce n’est pas l’individu qui risque sa vie, lorsqu’il s’élance vers l’inconnu, mais bien plutôt la vie qui se risque à nouveau en l’individu – n’était-ce pas le cas dans l’évènement de la naissance ? – et lui offre un renouvellement inégalé de ses forces. Et si la vie s’est risquée en nous, alors être vraiment vivant ne consiste pas à perpétuer la vie au sens d’une conservation, mais à la perpétuer en renouvelant ce risque d’être. En lisant Anne Dufourmantelle, nous nous posons une question fragile et essentielle : pourquoi faudrait-il conserver sa vie et au nom de quoi ?

Amours sibériennes, Ismaël Billy (par France Burghelle Rey)

Ecrit par France Burghelle Rey , le Mercredi, 05 Juin 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie, Editions du Cygne

Amours sibériennes, Ismaël Billy, éditions du Cygne, 2018 Edition: Editions du Cygne

 

 

Dès la première page de ce recueil qui a reçu le prix d'Honneur 2018 de La Cause littéraire un chant, comme celui de Maldoror, se lève. Avec un lexique et un rythme dignes de Lautréamont l'amour s'exprime dans "la sauvagerie du monde" :

Aux noirs océans, dans la calme mort des eaux assombries

des soleils impuissants qui jamais ne profanent

L'introduction de l'alphabet cyrillique va contribuer à personnifier la mère Russie rendue déjà vivante par l'adresse aux eaux :

L'Amour est un fleuve ; je t'aime, marée de l'Est.

Chaplin Personal 1952-1973, Yves Debraine (par Fanny Guyomard)

Ecrit par Fanny Guyomard , le Mercredi, 05 Juin 2019. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Arts, Editions Noir sur Blanc

Chaplin Personal 1952-1973, février 2019, 144 pages, 110 photographies, 29 € . Ecrivain(s): Yves Debraine Edition: Editions Noir sur Blanc

« Charlie Personal », mais pas Charlie « intime ». Car il y a un peu de mise en scène, dans ces photos saisies par le consentement de l’artiste.

Le feu photographe et reporter Yves Debraine a capturé des milliers de photos du grand cinéaste, après son départ des Etats-Unis en 1953, et jusqu’à sa mort en 1977. De ces deux décennies, une centaine de photographies argentique ont été retenues, certaines déjà connues, d’autres jamais encore publiées.

Tout commence avec la croustillante – ou plutôt fondante – anecdote du poulet à la crème. C’est en conseillant un restaurant servant ce plat au couple Chaplin fraîchement débarqué sur le sol suisse qu’Yves Debraine noue le premier contact. La suite, elle se fera en photo, le jeune français étant reconnu comme le photographe attitré de la famille.

Car plus qu’un hommage au « roi de l’expressivité », c’est un ouvrage sur Chaplin père, avec sa femme Oona O’Neill et leur ribambelle d’enfants. On aime les cartes de vœux à Noël, mises en scène par le cinéaste. On aime aussi lorsque le père fait le clown, imité par ses rejetons. A côté des sorties officielles, on nous donne à voir Chaplin à son bureau, ou le maladroit skieur… Ses sautes d’humeur restent, elles, cantonnées à des anecdotes écrites.