Nous, l’Europe, Banquet des peuples, Laurent Gaudé (par Patrick Devaux)
Nous, l’Europe, Banquet des peuples, mai 2019, 192 pages, 17,80 €
Ecrivain(s): Laurent Gaudé Edition: Actes SudFaire un tour d’Europe comme pour appuyer son existence, ce qu’elle fut en marche et ce qu’elle est.
Voilà le premier ressenti de ce livre de longs poèmes qui eut pu aussi être un essai :
« Vous vous effrayez de voir que d’un coup, l’inquiétude devient l’humeur des peuples ? Pensez à Victor Hugo et à son exil. Pensez à Garibaldi qui a traversé l’Atlantique, s’est battu au Brésil, en Argentine, en Uruguay… Il n’y a pas d’époque paisible ».
L’auteur appelle à poursuivre la belle aventure : « Jeunesse ! Jeunesse ! Il nous faut ton sursaut ».
La progression historique, économique et inventive vient ainsi à la rescousse de Laurent Gaudé à démontrer. Le texte, alors, prend tout son sens dans une série de courtes phrases suscitant l’action : « Succession de trouvailles, d’avancées, de modifications/. De brevets déposés qui viennent améliorer les précédents/ Ou les piller/ Des objets apparaissent/ Qui sont un peu fous/ Un peu encombrants/ Font des sons étranges/…/ Rouages/ Moteurs/ Pistons/…/ Bientôt arriveront les trams/ les voitures/ les métros », l’auteur expliquant avec force d’exemples « parce que le jet de vapeur mène directement à nous/ Nous sommes nés de cela ».
Quelques évènements historiques moins évidents sautent aux yeux de cette Europe en fulgurance : « Quatre mille tonnes de métal/ Belle architecture acérée où vont se presser plus de six millions de visiteurs/ De mai à octobre 1854 ».
Un mot suffit à l’auteur pour rebâtir, à sa progression, l’évolution industrielle : « Ce mot. Charbon. Pour dire le changement du monde ».
La sauce a pris et on s’émerveille avec lui ! Et de conclure, essoufflé de sa progression, il constate : « Nous sommes nés de ce temps-là, de génie », l’évolution s’accélérant dans un esprit de compétition. On met le doigt dans la plaie de la période coloniale et l’auteur n’y va pas de main morte : « tant d’hommes en ont asservi tant d’autres/ En ne voyant même pas le mal ».
Le livre se fait calendrier et le temps qui passe énumère ses victimes :
« On fera un peu partout des montagnes de papier scandaleux/ Des montagnes d’auteurs juifs, pacifistes, dépravés, corrompus/ Des montagnes qui brûlent doucement tandis que la foule fait le salut le bras tendu/ Joseph Goebbels est là/ Crachez sur son nom/ Nous avons des héros/ Hélas il y a autre chose/ De plus sombre : / Ce que l’homme peut faire à l’homme ».
Mais la série de malheurs va construire l’idée européenne, enfin :
« Les futurs pères de la construction européenne/ils l’ont vue, cette Europe des routes, des baluchons et des corps maigres/ ».
Ensuite, « un traité pour naissance » nous offre l’idée européenne avec « plus jamais ça » et quelques-uns repensent le discours de Victor Hugo au congrès de la Paix, à Paris, de 1849, lui qui pose les mots « Les Etats-Unis d’Europe ».
L’Europe a besoin, en effet, de « se définir comme un espace politique social-démocrate ».
S’en suivra une « Europe de l’élan » avec mai 68.
Et une Europe qui s’unifie le 9 novembre 1989.
Une conclusion de l’auteur s’active en fin de rappels historiques : « Les citoyens voulaient la paix/ Aujourd’hui, ils l’ont/ Et la démocratie parlementaire les ennuie/ Ils veulent un chef, un homme fort…/ Et pourtant, où mènent les chefs ? Nous le savons…/ Nous devrions – plus que tout autre – nous méfier à la vue des peuples transis devant l’homme providentiel. Mais que peut l’Europe contre la servitude volontaire ? Que peut l’Europe contre nous/ Ou sans nous ? ».
En effet… Qui sommes-nous ? Que voulons-nous devenir ? La question est essentielle et gare à la réponse !
« Grand banquet/C’est cela qu’il nous faut maintenant/De l’ardeur/ …/ Venez. Soyons nombreux ».
Tout est dit. Et dire : « Colère face au mépris du vote des peuples/Qui parfois ont dit non/…/ Je dis Colère face à cette Europe qui n’arrive pas à inventer une hospitalité d’Etat. Les réfugiés meurent en Méditerranée… Encore. Venez. Soyons nombreux/ Et dites l’utopie ! ».
Patrick Devaux
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