Amours sibériennes, Ismaël Billy (par France Burghelle Rey)
Amours sibériennes, Ismaël Billy, éditions du Cygne, 2018
Edition: Editions du Cygne
Dès la première page de ce recueil qui a reçu le prix d'Honneur 2018 de La Cause littéraire un chant, comme celui de Maldoror, se lève. Avec un lexique et un rythme dignes de Lautréamont l'amour s'exprime dans "la sauvagerie du monde" :
Aux noirs océans, dans la calme mort des eaux assombries
des soleils impuissants qui jamais ne profanent
L'introduction de l'alphabet cyrillique va contribuer à personnifier la mère Russie rendue déjà vivante par l'adresse aux eaux :
L'Amour est un fleuve ; je t'aime, marée de l'Est.
Mais ce sont pour de véritables personnes que les pages suivantes sont écrites par l'écrivain-voyageur. Des femmes pour lesquelles le lyrisme amoureux explore, au moyen de tous les sens et au milieu du cosmos et de la nature magnifiés, les différentes parties du corps
A tes côtes crayonnées de l'argile doux
des blanches falaises escarpées,
A la lagune sombre de tes jambes
le sucre des raisins d'automne,
Le miel des montagnes.
Et prier ta couche, comme une divinité païenne.
Ohé, belle dame aux râles clairs...
Rêver aux soirs d'hiver.
Et traverser tes yeux...
Mon Dieu...
L'opus se poursuit sur le même ton et dans le même style avec une saturation lexicale et sémantique, notamment à l'aide de nombreux adjectifs et participes, qui donne au rythme sa priorité et mime la passion et le désir. Cependant, s'il ose parfois quelques comparaisons, le poète sait renoncer aux métaphores jusqu'à épurer son texte :
J'aurais murmuré ton nom.
Silhouette courbée sous la force de tes vents,
Sous la gifle de ton haleine de bise,
Je t'aurais promis l'Eté
Et, si parfois, il narre, au passé comme au futur, c'est à force de litanies qu'il préfère décrire.
De plus, tels des ready-made, certains passages empruntés à des poètes slaves ponctuent les poèmes. Le premier est de Pouchkine :
"Ah ! puisse un autre vous aimer autant..."
Et, illustrant l'ensemble du recueil, des encres de Caroline François-Rubino s'ornent en leur centre de blanc pour témoigner à la fois de la puissance et de l'éclat de la Russie septentrionale.
Puis Ismaêl Billy évoque dans Dame Russie, la Matoushka Rossiya, la nuit, la douleur et la faim. Autant de thèmes mortifères. Mais, sur fond de "neige immaculée", le rêve l'emporte. C'est alors qu'il chante les couleurs : le vert, le rouge, le bleu lui-même énuméré en anaphore sur toute une page. Ainsi :
Bleu païen
Bleu des cristaux galvanisés au souffle boréal.
Bleu des neiges cinglées au vent traversier des montagnes
Bleu, de la congère abrasée de vent, centré à vau-vent
dans les masses rases de scories
Blanches.
Dans la suite élégiaque du texte, l'amoureux n'est pas seul à être seul. Il l'est au milieu d'un "nous" et au milieu des "Hommes". Alors, comme intemporel, survient un point d'acmé :
Moi, tout petit...
Dans le froid déchiré des bois je crève !
Du manque de Toi !
Pour finir le poète choisit de changer de rythme. Trois textes aux vers plus courts allègent le lyrisme d'un récitatif au cours duquel les répétitions, comme, par exemple, "livres" / "ballons rouges" - dans l'air et avec l'eau sous toutes ses formes - favorisent davantage encore le chant.
Le rythme enfin reprend de son ampleur pour une dernière adresse à la nature et à l'aimée.
France Burghelle Rey
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