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Articles taggés avec: Wetzel Marc

Versants, Proses poétiques, Jacquy Gil (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 15 Mars 2023. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Unicité

Versants, Proses poétiques, Jacquy Gil, Éditions Unicité, novembre 2022, 96 pages, 13 € Edition: Unicité

 

« Les nuages que reflètent les chemins après la pluie ont beaucoup à dire… Et c’est au ciel qu’ils le disent ; à ce ciel qui jamais ne les voit sous cette face, et qui ne sait rien finalement, ou si peu, de ces drôles de passants qui le traversent et qui à chaque instant inventent un langage dont l’homme parfois sait tirer quelques présages » (p.88).

« Il y a toujours une autre réalité qui ailleurs se décide. Et si nous étions pourvus de plus de clairvoyance nous irions plutôt chercher ce qui demande à être vu dans ce qui ne se montre. Le monde serait autre et nos regards portés sur lui plus lucides » (p.85).

Toute hauteur se paye. D’abord parce qu’il faut que le corps ait l’âge et la volonté d’y grimper ; et ensuite que ce même corps (enrichi, annobli peut-être) résiste à la descente abrupte, à ses appuis fragiles : tout amateur d’élévation ponctuelle doit en organiser, à proportion, sa normale dégringolade – et ses lacets de vertige sur crampes. Et l’esprit (la conscience qui choisit, calcule et invente), qui est monté avec, devra lui aussi, solidairement, redescendre.

Une longue route pour m’unir au chant français, François Cheng (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 08 Mars 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Albin Michel

Une longue route pour m’unir au chant français, François Cheng, Albin Michel, octobre 2022, 252 pages, 17,90€

Le « chant français » ne devrait rien avoir de spécial, puisque toute langue vivante chante, toute langue parlée se fait entendre d’elle-même et vit ainsi au contact de ses sons modulés. Quand on chante – même mal – on fait forcément entendre au-dehors, dans l’extériorité matérielle, quelque chose de la vie de son propre corps (comme une sorte de gargouillis articulé), on crache ou expulse quelque chose de la première personne d’une chair en propre : en ce sens tout chant est, par nature, lyrique ; mais chanter, c’est aussi, à l’inverse, faire résonner en l’intime de soi, dans le « for intérieur », quelque chose de la sonorité d’abord extérieure, publique, d’abord spatio-physique, d’une langue, c’est faire retentir en soi, dans son praticien et locuteur même, faire vibrer dans l’étroit, fragile et fatigable canal bucco-laryngé de quelqu’un, le « logos » à la fois abstrait, collectif et anonyme d’un idiome donné. Toute épopée est donc faite de chants, parce que même la geste d’exploits impersonnels et le cours socio-public magnifié d’une nation doivent entrer dans des morceaux « chantables », dans des séances délimitées de possible exécution de la célébration par le célébrant. Il faut que la gorge (qui les fait seule vivre) puisse suivre, et, comme disait Michaux à l’auteur au début des années 80 :

Rêve et conscience, Ludwig Crespin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 16 Février 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Ludwig CRESPIN - Rêve et conscience - Classiques Garnier, 368 pages, février 2020, 39€

 

C'est un livre paru, sans bruit, il y a presque trois ans, un livre sérieux et dense, écrit par un jeune enseignant de philosophie, vif, instruit et chaleureux, proche des neurosciences, mais soucieux de les rendre accessibles, et utiles à notre quotidien d'êtres pensants. Sa question, précise et féconde, est celle-ci : Quel apport des sciences du rêve à la philosophie de la conscience ? Le rêve n'est certes pas le fondement de la pensée consciente, mais il oblige notre pensée à s'interroger sur sa véritable source. Sur la source qu'elle est, puisque même le rêve est avant tout de la pensée ; sur la source qu'elle a, puisque nous ne penserions pas du tout si le monde ne nous avait pas d'abord fait rêver. D'où vient donc ma pensée dans le monde, et que vient-elle y faire, si le rêve (nocturne) est à la fois une espèce de pensée que je prends (à tort, mais irrésistiblement) pour le monde, et un monde que ma pensée ne peut jamais complètement rapporter à elle-même, ni donc clairement concevoir ? Les auteurs qui, comme Ludwig Crespin, ont à la fois compétence et capacité méditative sont suffisamment rares pour qu'on ose signaler, même avec retard, leur beau travail, et tenter, modestement, d'y introduire par quelques notations.

Ainsi parlait, Stefan Zweig, Dits et maximes de vie choisis et traduits de l’allemand par Gérard Pfister (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Lundi, 06 Février 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Langue allemande, Arfuyen

Ainsi parlait, Stefan Zweig, Arfuyen, janvier 2023, Dits et maximes de vie choisis et traduits de l’allemand par Gérard Pfister, Edition bilingue, 192 pages, 14 €

 

Zweig l’a lui-même remarqué : son œuvre plaît toujours et partout parce qu’il n’en garde, en la composant, que le mouvement essentiel. Il préfère « élaguer » un développement pourtant réussi, sacrifier tout ce qui ne serait que bien écrit pour que le lecteur, devinant un auteur en sachant méthodiquement plus qu’il n’en dit, ne quitte jamais des yeux le secret qu’avec art on lui porte plus loin et dérobe. Mais il n’a pu, bien sûr, élaguer le (formidable) succès même qu’il en obtint (la renommée n’est pas une intrigue qu’on puisse rendre plus agile et sobre !), et son vœu constant de limiter strictement son influence propre à celle de son œuvre n’a pu s’exaucer que dans toutes les tragiques – persécutoires – dernières années où l’anonymat personnel l’attendit aux divers lieux où l’exil le jetait (il n’y était plus le visage identifiable de son nom).

« Même l’exil – je l’ai appris à suffisance – n’est pas si difficile à vivre que la solitude dans sa patrie » (§.203).

Dictionnaire des anthropologies, Mathilde Lequin & Albert Piette (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 03 Février 2023. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Dictionnaire des anthropologies, Mathilde Lequin & Albert Piette (dir.), Presses Universitaires de Paris Nanterre, septembre 2022, 1076 pages, 25 €

 

Quand il arrive qu’on s’ennuie, le fait est là : on ne se sent alors plus guère avancé d’être un homme. On pense le monde, mais rien pourtant ne nous y intéresse. De même, dans l’angoisse : on préfèrerait carrément alors (mais toujours en vain, car toute préférence est humaine) ne pas être homme. On y est face au néant (chance que n’a jamais l’animal), sans face à face possible. Enfin dans la perplexité intellectuelle (troublé de devoir choisir sans savoir quoi, cherchant l’idée qui invaliderait les autres en terminant le problème), notre propre irrésolution, justement, nous paraît exclusivement et invinciblement humaine. Par exemple dans ce Dictionnaire des anthropologies, quand les conceptions de l’humain de 115 penseurs nous sont (en huit-dix pages chacune) remarquablement restituées, presque toutes convaincantes et presque toutes incompatibles, une certitude naît de notre trouble même : l’homme est l’être que la diversité des réponses à la question de son être rend perplexe. L’homme est le seul animal que le problème qu’il est intéresse : les problèmes qu’ils ont semblent largement suffire à tous les autres animaux.