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Les Livres

L’Aube, Ramón Gómez de la Serna (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 23 Juin 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Espagne, Récits, La rentrée littéraire

L’Aube, Ramón Gómez de la Serna, éd. Vagabonde, mai 2022, trad. espagnol, Jacques Ancet, 118 pages, 16 €

 

« L’aube est l’heure de l’ouïe fine ».

« L’aube arrose les rues d’une poussière de siècles ».

« À l’aube le monde devient une nébuleuse primitive… C’est pourquoi on éprouve un vertige cotonneux, incompréhensible, avec perte de connaissance…, et puis on récupère tout ».

Comme l’aube qui inspire ce gracieux petit livre, Ramón Gómez de la Serna a l’ouïe fine et l’œil affuté. De la fenêtre de la chambre qu’il occupe à Paris, boulevard Saint-Michel, durant l’hiver 1912, il assiste à la naissance de l’aube, d’un monde, et à celle de ce livre. L’Aube est un livre qui s’éveille, comme la rue que l’espagnol espiègle regarde, un nouveau monde s’éclaire, et il en saisit de quelques mots ou de quelques phrases, l’étrange réalisme.

Les Forcenés, Jean Desbordes (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 23 Juin 2022. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Les Forcenés, Jean Desbordes, Interstices Editions, mars 2022, 181 pages, 22 €

Comme le souligne Renaud Lagrave dans son éclairante postface, Les Forcenés de Jean Desbordes (Interstices Editions, mars 2022 ; première publication par Gallimard en 1937) se caractérisent, sous de nombreux aspects, par une facture plus théâtrale que romanesque. Le récit se construit sur une succession de scènes (à tous les sens du mot) souvent paroxystiques, nous rapprochant tantôt de la tragédie (une tragédie bourgeoise évidemment), tantôt du mélodrame, qui justifient bien le titre.

Acte I : le narrateur, Georges, jeune officier en garnison à L., fiancé à la plus jeune encore Marie-Thérèse, répond aux avances de Blanche R., rencontrée lors d’une soirée costumée et qui a deux fois son âge, qui pourrait être sa mère, parce qu’elle tombe dans les escaliers. Acte II : la passion de Blanche pour Georges coûte à celle-ci son rang social et la conduit à quitter son mari, pourtant peu encombrant. Acte III : Blanche et Georges se réfugient en Provence dans une petite maison à flanc de colline ; cohabitation exaltée et par nécessité décevante ; les revenus s’amenuisent, le futur s’assombrit. Acte IV : les deux amants apprennent le suicide (raté) de Marie-Thérèse et celui (réussi) du mari ; lors d’une nouvelle dispute, chacun finit par se donner la mort, à quelques minutes d’intervalle, avec le revolver acheté par Georges.

Reconnaître le faux, Umberto Eco (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 22 Juin 2022. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Grasset, Italie

Reconnaître le faux, mars 2022, trad. italien Myriem Bouzaher, 64 pages, 6 € . Ecrivain(s): Umberto Eco Edition: Grasset

 

Dans l’œuvre du sémioticien qu’était Umberto Eco, la question du faux est centrale, ceci depuis au moins son Traité de sémiotique générale (1975) – d’ailleurs, l’auteur le mentionne lui-même dès les premiers mots de la présente conférence : il y disait que « nous devrions considérer comme signe tout ce qui peut être utilisé pour mentir ». Mais il précise aussitôt, nuançant, et cela est d’importance à toute époque : dire le faux n’est pas mentir, ni falsifier, et mentir n’est pas falsifier. Néanmoins, le faux est bel et bien au centre de ses préoccupations, comme le sait quiconque a lu Le Nom de la Rose (1980) ou les essais réunis en français sous le titre La Guerre du faux (1985) – le faux, parce que peut-être la falsification présente un rapport bien plus biaisé à la vérité que le mensonge.

L’argument de vente du présent opuscule est bien sûr lié à l’actualité : à l’époque des « fake news », relire Eco est indispensable. À ceci près que celui-ci inciterait plutôt à relire Machiavel, Platon, Aristote, Thomas d’Aquin, Bacon, Benedetto Croce ou Baltasar Gracián – mais pas Kant, du moins dans le présent contexte, dû à « la capacité que ce grand homme avait de dire de temps en temps des âneries ».

Les événements, suite, Isabel Ascencio (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mercredi, 22 Juin 2022. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, La Brune (Le Rouergue)

Les événements, suite, Isabel Ascencio, Le Rouergue, La Brune, mars 2022, 245 pages, 20 €


Il y a dans ce livre tout ce qu’on recherche dans un roman ; une histoire, croisée avec l’Histoire, des personnages forts et attachants, du mystère, une enquête, tout ça posé dans le décor, un personnage en soi, du Var, de la Corse et de l’Algérie. Alors, qu’on puisse hésiter en avançant, sur le mot roman – et si c’était le récit et des tranches de vie de l’auteure ? n’enlève rien au plaisir qu’on prend à ce livre-roman-récit, captivant d’un bout à l’autre. Ajoutons, le tout servi par une magnifique écriture, ce qui en fait un produit littéraire parfaitement réussi.

Le titre, à la fois ouvert et fermé, « les événements, suite », couvre l’histoire, tissée – trame, chaîne – et agencée telles de multiples poupées gigognes qui n’en finissent pas de nous tromper quant à leurs tailles et de chatoyer à ces soleils du sud – encore un personnage.

D’os et de lumière, Mike McCormack (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 21 Juin 2022. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Points

D’os et de lumière (Solar Bones, 2016), trad. anglais (Irlande) Nicolas Richard, 275 pages, 8,60 € . Ecrivain(s): Mike McCormack Edition: Points

 

Nul point, de bout en bout, une phrase unique qui serpente, s’enroule, revient sur elle-même, se déploie de nouveau, se rompt, reprend, va crescendo puis descend, métaphore d’une vie d’homme, volonté d’un auteur d’embrasser tout ce qui la compose, jusqu’au moindre détail, projet panoptique qui se refuse à laisser au hasard la moindre nuance. Tel est ce roman d’un homme – le narrateur – qui se souvient dans un flux de mémoire intense qui le ramène aux sensations même éprouvées alors. Capturer le temps passé dans les mailles de la phrase, lui donner son épaisseur réelle, le restaurer dans le présent, c’est la folle aventure de ce roman puissant et captivant.

La phrase de McCormack se déploie aussi comme une tentative de capter l’histoire particulière dans son articulation à l’univers. Marcus Conway, le narrateur, n’est pas seulement ingénieur du bâtiment par profession, il l’est aussi par invasion de son être : rien, ni objet, ni fait, ni affect, n’échappe à sa passion de la construction, à sa conception du monde qui veut que tout élément soit forcément un morceau d’un tout, jusqu’au grand tout.