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L’Emporte-voix, Bruno Doucey

Ecrit par France Burghelle Rey , le Mercredi, 09 Mai 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

L’Emporte-voix, La Passe du Vent, février 2018, 78 pages, 10 € . Ecrivain(s): Bruno Doucey

 

Depuis toujours Bruno Doucey fait entendre la poésie qui, selon lui, n’existe que si elle est lue car la littérature doit être vivante et n’est pas affaire de solitude. Il est le parrain de l’événement « Mots dits Mots lus » qui organise la journée sidérale de la lecture à haute voix dont la 3° édition a lieu le 30 juin 2018. Ainsi le recueil est-il sorti dans le cadre du Printemps des poètes chez un éditeur à vocation sociale.

L’incipit révèle la double préoccupation de Bruno et, à la fois, son objectif « Ecrire lire ». Ainsi le champ lexical du dire commence-t-il d’emblée à être filé avec, au centre du poème, « une parole vive » et, en sa chute, l’affirmation d’une essentielle amitié :

 

Un fil d’or relie nos vies

comme les étoiles d’une constellation

Le Ciel est à nous, Luke Allnutt

, le Mardi, 08 Mai 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Le Cherche-Midi

Le Ciel est à nous, mars 2018, trad. anglais, Anne-Sophie Bigot, 448 pages, 21 € . Ecrivain(s): Luke Allnutt Edition: Le Cherche-Midi

 

Si certains pensent que le bonheur est inaccessible à la prose romanesque et que le roman ne peut fonctionner sans drame, Le Ciel est à nous pourrait constituer un parangon de ce principe littéraire. De bout en bout, le récit est habité par le drame, et les rares moments d’accalmie nous laissent hébétés, incrédules, courbant presque l’échine, prêts à accuser le coup suivant, que nous craignons toujours être le dernier, le fatal.

Pourtant, Rob et Anna sont l’incarnation du couple parfait : beaux, riches et intelligents, ils vivent et travaillent dans les quartiers cossus de Londres. Tout leur réussit, et, pour parfaire leur bonheur, il ne leur manque qu’un enfant. Bien qu’une première tentative échoue (comme un funeste présage), la suivante aboutit. Les voici donc les heureux parents du petit Jack, un jeune garçon épanoui, plein de vie, d’amour, et de candeur. Seulement la vie peut se montrer cruelle, injuste, et parfois même immonde, une vraie saleté. C’est sans doute ce que Rob et Anna ont ressenti le jour où ils ont appris le cancer de leur fils, puis tous les jours qui ont suivi, à compter de la minute où leur a été annoncé le caractère incurable de la maladie.

Zoartoïste (suivi de Contes Défaits en Forme de Liste de Courses), Catherine Gil Alcala

Ecrit par Cathy Garcia , le Mardi, 08 Mai 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Théâtre

Zoartoïste (suivi de Contes Défaits en Forme de Liste de Courses), éd. La Maison Brûlée, 2016, 136 pages, 15 € . Ecrivain(s): Catherine Gil Alcala

Théâtre et poésie, théâtre poétique et poésie théâtrale, il faut ici lâcher la rive du connu. Certains renonceront de suite, d’autres oseront plonger au cœur du maelström. Ce n’est pas de lire, qu’il s’agit ici, mais d’expérimenter un état de conscience éclatée, une transe, un démembrement de la raison, qui nous culbutent. Manipulant dans son grand chaudron – visions, rêves, mythes et symboles, qu’elle touille comme prise de démence, Catherine Gil Alcala convoque la magie des mots pour pulvériser le réel et nous faire voir à travers le miroir ce qui est de l’ordre – ou plutôt du désordre – du grand chaos universel. Pythie au verbe noir et flamboyant, elle pousse les mots à leur paroxysme pour nous faire basculer de l’autre côté, du côté du grand rire salvateur, où rien n’est sérieux, tout est primordial.

Et chaque scène se nomme d’ailleurs non pas scène, mais miroir.

L’onde radiophonique qui traverse l’univers, Grand négateur limonade, Le Mort, Les fils de l’orage, Maman tintamarre, Samsara bondissant, Le jongleur dans l’horloge, Les mantras du vent, sont quelques-uns des personnages de ce théâtre fou. Fous comme peuvent l’être les Clowns sacrés.

Des ailes au loin, Jadd Hilal

Ecrit par Dominique Ranaivoson , le Lundi, 07 Mai 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Elyzad

Des ailes au loin, mars 2018, 168 pages, 18,50 € . Ecrivain(s): Jadd Hilal Edition: Elyzad

 

Ou comment un jeune homme peut faire parler une lignée de quatre femmes et, à travers leurs voix, retracer l’histoire des exils successifs d’une famille palestinienne. C’est Naïma qui commence à Haïfa, « fjord méditerranéen », puis va dans les montagnes et au Liban, à Damas, à Beyrouth. Sa fille Ema raconte les mêmes errances, de son point de vue, jusqu’à la fuite vers Genève. Puis c’est la sienne, la petite-fille Dara, retournant dans son Liban natal avant d’être obligée elle aussi de le fuir. Enfin, l’arrière-petite-fille, Lila, entre dans le chœur. Elles évoquent aussi toutes les quatre leurs frères et sœurs, tantes, maris installés plus ou moins temporairement à Damas, Bagdad ou Abu Dhabi. Les voix s’entrecroisent ; chacun raconte le père, le mari, la maison, l’environnement. Le temps passe, les générations se succèdent et se côtoient, leur histoire personnelle s’inscrit dans l’Histoire par les dates et les références qui émaillent le texte : l’attentat de 1938 à Haïfa par les Juifs de la Haganah, 1947 et la « guerre civile en Palestine », la révolution palestinienne, la guerre au Liban en 1976 puis son « retour » en juin 1982, le 14 février 2005 et l’attentat contre Rafiq Hariri suivi de la « révolution », enfin le Hezbollah en 2006 qui capture des soldats israéliens et les bombardements du 7 juillet 2006.

L’Homme coquillage, Asli Erdogan

Ecrit par Carole Darricarrère , le Lundi, 07 Mai 2018. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Bassin méditerranéen, Roman, Actes Sud

L’Homme coquillage, traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, mars 2018, 208 pages, 19,90 € . Ecrivain(s): Aslı Erdoğan Edition: Actes Sud

 

En Turquie, on n’écrit pas avec le dos de la cuillère, fût-ce des romans, mais avec le talent farouche de ces écrivains qui avancent dans la vie comme en écriture le regard marqué au fer rouge et la langue scellée à leurs blessures, en suicidés de l’existence inaptes au bonheur souffrant d’un mal étrange que l’auteure nomme elle-même « la constipation de vivre » et pour lesquels la peau ne sera jamais synonyme de douceur.

Tranchant du corps du monde sur le terrain miné de la phrase, la somme de ces mots est plus qu’une histoire, celle d’une jeune-femme blanche, étrangère à elle-même en ce monde, proie forte sensible et seule. Amen corrosif de la différence, l’inconvénient d’être une femme dotée d’un esprit libre dans une société d’hommes (et il y a en beaucoup dans ce livre) nous fait ici violence. Posé là dans ce printemps monochrome loin très loin des îles Caraïbes, ce récit vaudou évoquant une sorte de courte saison en enfer sur une île censée vendre du rêve fait figure de bombe sur une étagère tant « (…) aux Caraïbes, qui peut dire où commence et où s’arrête le réel ? ».