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La Une Livres

Vesoul, le 7 janvier 2015, Quentin Mouron (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Mercredi, 06 Mars 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Olivier Morattel éditeur

Vesoul, le 7 janvier 2015, janvier 2019, 120 pages, 16,50 € . Ecrivain(s): Quentin Mouron Edition: Olivier Morattel éditeur

 

« Le picaro est cadre, homme d’affaire, plasticien, écrivain. Il n’a ni attache, ni patrie ; il ne reconnaît aucune frontière, aucune religion. Il est planétaire. Il saute les méridiens. Il glisse autour du globe. Son visage est jeune, lisse, pur ; sans échancrures ethniques, sans miasmes historiques. C’est un ange. Mon maître dans son Audi, me semblait un ange ».

Vesoul, le 7 janvier 2015, nous plonge dans l’histoire ubuesque d’un cadre supérieur adepte de grosses cylindrées, de manifestations culturelles, du jazz, d’alcools forts, de la gymnastique traditionnelle chinoise, de bars sympas, de plans cools et de spots de princes. Le narrateur qui fait du stop va tomber sur ce personnage issu de romans picaresques, un futé bien affuté que rien n’effraie. Comme Don Quichotte et Sancho dans La Mancha, ils vont tourner en rond dans Vesoul. D’une escale très arrosée au vin d’Arbois dans une gargote délabrée occupée par une douzaine de silhouettes ployées sur les godets à l’Hivernale des Poètes, le narrateur passe à la moulinette les comportements et la novlangue de ces artistes, plus ridicules les uns que les autres, et persuadés que La poésie rend libre. Nos aventuriers vont alors traverser le Tunnel des citations, où des centaines d’extraits de poèmes, de romans ou d’essais, sont mutilés de mots et de phrases qui n’ont plus leur place dans ce nouveau monde.

La vérité sur “Dix petits nègres”, Pierre Bayard (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Mercredi, 06 Mars 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Les éditions de Minuit

La vérité sur “Dix petits nègres”, janvier 2019, 176 pages, 16 € . Ecrivain(s): Pierre Bayard Edition: Les éditions de Minuit

Ligne à ligne, chapitre après chapitre, Pierre Bayard décortique l’un des chefs-d’œuvre de la littérature policière, Dix petits nègres, rédigé par l’un des maîtres du genre, Agatha Christie, en revenant sur la solution trouvée par l’auteure – et acceptée sans broncher par tous les lecteurs depuis la parution du livre en 1939 – et en proposant une nouvelle interprétation et un nouveau meurtrier.

Ce n’est pas son premier essai. Bayard s’est déjà penché sur d’autres textes d’Agatha Christie ou de sir Arthur Conan Doyle qui représentent des prouesses en matière de roman policier, comme Le meurtre de Roger Ackroyd, où le récit en « je » est narré par le criminel, sans qu’on connaisse avant la fin sa responsabilité dans les assassinats, ou encore Le chien des Baskerville, dans lequel un chien monstrueux est le supposé auteur de meurtres familiaux sur la lande anglaise.

Le « délire d’interprétation » est ici porté à son comble puisque Bayard, sans réécrire le roman, en propose, par le truchement de son « nouveau » criminel, une relecture correctrice que la plasticité de la fiction autorise. Bayard se glisse dans les interstices de la diégèse, explore les zones d’ombre de la narration et modifie la donne ou plutôt les relations de causalité qui mènent à la culpabilité du personnage, en choisissant un coupable différent de celui de l’auteur d’origine, et en justifiant ce choix.

Mon frère et moi, Erik Sven (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Mardi, 05 Mars 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Mon frère et moi, éditions Murmure des Soirs, février 2018, 126 pages, 18 € . Ecrivain(s): Erik Sven

 

Dans cette fiction d’un auteur néerlandophone qui écrit admirablement dans la langue de Molière tout est inventé et tout semble vrai.

Les personnages principaux, deux enfants, Colline et Aubin (et aussi leur amie Béatrice) ont parfois des comportements d’adulte frisant l’étrange initié par une ambiance à la fois de village et de forêt comme si on passait sans cesse d’un monde à l’autre (on songe à Alice aux Pays des merveilles) ; une adulte, un peu à l’écart de la société, Berthe, fera office de bonne sorcière usant de sortilèges très humains pour amadouer Colline et Aubin qui ne demandent qu’à trouver une affection diluée entre une mère excessive et malade et un père activement restreint dans son rôle professionnel de chef de chantier. On n’oubliera pas, à cet égard, qu’un des « personnages » principaux est… une autoroute catalysant la progression du récit, Berthe ayant des choses à régler d’anciennes situations : « Selon le journaliste, qui se prenait pour Sherlock Holmes, tout indiquait que la grande Berthe avait enlevé le petit Aubin. Enlèvement qui (et là, le journaliste se fit psychologue) trouvait son origine dans une histoire non résolue entre papa et Berthe ». Voilà donc, une ébauche de cette intrigue calquée sur des non-dits autant que sur des gestes très physiques entre les personnes, à la limite des émotions « courantes » et notamment entre enfants :

Les impatients, Maria Pourchet (par Sandrine Ferron-Veillard)

Ecrit par Jeanne Ferron-Veillard , le Lundi, 04 Mars 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Gallimard

Les impatients, janvier 2019, 187 pages, 17,50 € . Ecrivain(s): Maria Pourchet Edition: Gallimard

Relisez tous les titres ; les livres de Maria Pourchet rendent possible le mouvement, rendent sensible la vitesse, tous sont une course. Incarnent un certain essoufflement. D’emblée vous propulsent. Maria Pourchet a ce sens de l’accueil. L’auteure qui sait accueillir un lecteur, l’inviter dans son salon, sait le mettre à l’aise et surtout ! sait ne pas le lâcher au bord du. Ou le laisser en plan, appelez ça comme vous voulez.

« Quelque chose commence ici » sont les premiers mots. Cinq chapitres comme les cinq doigts de la main, cette main qui ne fait plus qu’utiliser une souris, un clavier, elle fait, elle défile, elle conçoit, elle déplace, elle copie, elle sélectionne. Elle efface.

Reine ? a ici encore l’adolescence dans le corps, le corps qu’on renie.

« Oui Reine va très vite. On tourne une page, on ne fait pas attention, on s’est pris dix-huit ans dans la vue ». Reine avance. Diplômée, une grande école, dites-vous, Reine appartient à cette génération que vous nommez en entreprise la génération Y. Un talent. Les entreprises justement, Reine les avale, les consomme, postule, repart, un boulot puis un autre. Vous ne parlez plus d’instabilité mais de plan de carrière. Reine bosse en mode projet. Sans contraintes déterminées. Jeune femme dynamique, tirée à quatre épingles, lisse et parfaite. Reine n’est pas tirée, Reine contrôle.

La Grande Guerre en demi-teintes, Edmund Blunden (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Lundi, 04 Mars 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Récits, Editions Maurice Nadeau

La Grande Guerre en demi-teintes, novembre 2018, trad. anglais Francis Grembert, 375 pages, 25 € . Ecrivain(s): Edmund Blunden Edition: Editions Maurice Nadeau

En 1916, le jeune Edmund Blunden, sous-lieutenant anglais, est envoyé en France à l’âge de 19 ans sur le front immobile de la Somme, chargé de missions de cartographie, de reconnaissances de terrain, d’entretien, d’extension et de ravitaillement des tranchées…

De 1916 à 1918 il a participé à l’âpre et monstrueuse hécatombe de la bataille de la Somme, puis s’est battu sur le front d’Ypres et sur la ligne des Flandres.

Après la guerre, il s’est consacré à brosser de ces deux années passées à crapahuter dans les tranchées un tableau précis, à en retracer une chronique remarquablement détaillée, à en tisser une narration qu’on peut croire fondée sur les notes minutieuses d’un journal personnel, ou d’un méticuleux carnet de bord… dont les pièces scéniques mises bout à bout constituent une œuvre volumineuse tout autant que captivante.

L’auteur-narrateur, personnage principal du récit, est poète. Ce don lui permet de percevoir la moindre promesse de vie, la moindre lueur de paix dans les brèves et rares périodes de répit qui surviennent dans le vacarme, le chaos et la fureur faisant de cette guerre immobile un enfer permanent.