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Etat d’ivresse, Denis Michelis (par Christelle d'Hérart-Brocard)

, le Mercredi, 30 Janvier 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Editions Noir sur Blanc

Etat d’ivresse, janvier 2019, 140 pages, 14 € . Ecrivain(s): Denis Michelis Edition: Editions Noir sur Blanc

Elle est femme, épouse, mère et rédactrice d’un magazine de psychologie. Autant de statuts qui se combinent et façonnent une belle identité, solide et légitime. Mais que se passe-t-il quand l’état d’ivresse vient s’immiscer dans l’engrenage et gangréner tout le système ?

On ne peut plus exemplaire et significatif, le procédé narratif de focalisation interne prend toute son ampleur dans ce court roman de Denis Michelis puisque la narratrice enferme littéralement le lecteur dans son carcan d’ivrogne, sans d’autre perception que celle de ses propres délire et obsession. Hormis les spéculations hors texte auxquelles le lecteur ne manquera pas de s’adonner, il est inutile d’attendre des explications sur les tenants et aboutissants de cette situation. Comme le suggère le titre du roman, l’ivresse est postulée comme un état de fait que la narratrice, qui domine l’appareil discursif, serait bien en mal de justifier. En dépit de cette narration ingénieusement restreinte et resserrée dans le temps (une semaine et quelques jours), il n’est nullement question de l’allocution vaseuse, sans queue ni tête, d’une poivrote en plein délire, qu’il aurait été laborieux de retranscrire et plus encore de déchiffrer. Si confusion mentale il y a, elle se concentre sur le fond et n’entache point la forme. Faut-il rappeler que la narratrice est rédactrice de magazine et par conséquent capable de s’exprimer de manière intelligible ?

Bicyclettres, Jean-Acier Danès (par Jean Durry)

Ecrit par Jean Durry , le Mercredi, 30 Janvier 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Seuil, Voyages

Bicyclettres, janvier 2018, 221 pages, 17 € . Ecrivain(s): Jean-Acier Danès Edition: Seuil

 

 

« Pour célébrer mes dix-huit ans […] j’ai conduit ma bicyclette vers des lectures que j’affectionne – ou leurs auteurs. Cela m’est apparu comme un bon socle pour rentrer dans l’âge adulte. Durant deux ans […] pédaler a signifié rendre visite à mes écrivains, à mes œuvres préférées […]. A la grâce de voyages pleins d’aléas et de rencontres, j’ai voulu écrire ces pages comme un carnet de [route], riche d’un désir que la littérature avait fait naître ».

Partant le plus souvent de Lyon, ne faisant qu’un avec sa fidèle « Causette », Jean-Acier Danès a rendu en première instance visite au Cimetière sétois et à Paul Valéry. « Au retour, en zigzaguant à bicyclette sur la ligne blanche tracée sur l’asphalte de la route, j’ai décidé de suivre les lignes noires des livres que j’aimais ».

Le Cherokee, Richard Morgiève (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 29 Janvier 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Polars, Roman, Joelle Losfeld

Le Cherokee, janvier 2019, 480 pages, 24 € . Ecrivain(s): Richard Morgiève Edition: Joelle Losfeld

 

Le Cherokee de Richard Morgiève porte superbement son titre, celui d’un des classiques de Jazz les plus célèbres, joués par Charlie Parker, Count Basie, Lee Konitz ou Wynton Marsalis. Un rythme staccato, très élevé, mais une sonorité retenue. Morgiève écrit sur ce tempo, sur ce son. Obsédant et possédé, comme l’est le Shérif Nick Corey, assailli par ses fantômes et ses blessures incurables. Car c’est bien le personnage qui occupe la place centrale du roman, détrônant la sacro-sainte enquête traditionnelle du roman noir. Morgiève se moque des codes du genre, une abracadabrante histoire d’avion sans pilote et d’invasion de Martiens vient pasticher avec ferveur les storytellers purs et durs. On peut en dire autant de l’éternel Serial Killer, le Dindon, dont on peut se demander s’il n’est pas celui de la farce.

Non, ce roman est une expédition spéléologique dans les profondeurs d’un homme, Nick Corey, dont les recoins de l’âme sont un paysage halluciné, peuplé de fantômes – ceux de son père et sa mère adoptifs adorés et sauvagement assassinés quand il était encore enfant – d’horreurs sanglantes, d’échecs amoureux, de pertes inlassables. L’âme d’un homme jeté dans la solitude et le désespoir d’une humanité haineuse et violente. Désespoir des humains, désespoir de soi, Corey ne se supporte pas lui-même, ne s’épargne pas la responsabilité de la déchéance du monde.

César Capéran ou la Tradition, Louis Codet (par Catherine Dutigny)

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa , le Mardi, 29 Janvier 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, La Table Ronde - La Petite Vermillon

César Capéran ou la Tradition, novembre 2018, 144 pages, 6,10 € . Ecrivain(s): Louis Codet Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

 

Elégance, finesse, délicatesse, la liste des adjectifs qui accompagnent la lecture des textes de Louis Codet sont à l’image de ce dandy roussillonnais par sa mère et limousin par son père, formé au Lycée Condorcet, Docteur en droit, parfait exemple de cette élite intellectuelle du début du XXesiècle qui écrit, peint, débat à l’Assemblée nationale avec un total naturel et une parfaite aisance.

Dans ce court roman qui sera édité par Gaston Gallimard après sa mort, Louis Codet, le ton enjoué et gentiment moqueur, décrit la rencontre du narrateur avec un jeune gascon, César Capéran, « monté » à Paris dans l’attente d’un obscur poste au sein d’un non moins obscur ministère des Colonies. Un jeune homme qui ne fait strictement rien de ses journées et vit chichement sur les modestes revenus d’un petit domaine occitan de Barbazanges qui lui fournit pommes, poules et vin. « C’était du bon vin blanc, très clair, ayant goût de pierre à fusil, l’agréable vin de l’Armagnac. J’en avais bu de semblable dans son pays, là-bas, quelque soir où je me reposais, entre deux caisses de lauriers roses, sur le seuil plaisant d’une auberge, tandis que les chars à bancs qui revenaient du marché roulaient sous les ormeaux poudreux de la grand’route… » (p.26).

Comment je suis devenu moi-même, Irvin D. Yalom (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 29 Janvier 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, USA, Biographie, Albin Michel

Comment je suis devenu moi-même, août 2018, trad. anglais (USA) Françoise Adelstain, 428 pages, 23,90 € . Ecrivain(s): Irvin D. Yalom Edition: Albin Michel

 

Toute autobiographie est prétentieuse, d’une manière explicite ou implicite. Elle postule que la vie de qui tient la plume s’est distinguée de la vie des cent milliards d’êtres humains qui l’ont précédée ou accompagnée, de manière suffisamment nette et remarquable pour qu’elle vaille la peine d’être racontée et imprimée. C’est un peu comme si on inaugurait sa propre statue, dans un parc de sa ville natale.

Cette idée, que peu d’entreprises littéraires sont a priorimoins modestes que l’autobiographie, ressurgit en considérant un titre pareil : Comment je suis devenu moi-même. L’original anglais (Becoming myself. A Psychiatrist’s Memoir) est un ton en-dessous et a le mérite de relier l’entreprise autobiographique à ce qui fut, pour Irvin D. Yalom, l’aventure de sa vie.

Auteur de The Theory and Practice of Group Psychotherapy, un manuel de psychiatrie estimé aux États-Unis (c’est en tout cas lui qui l’affirme et il n’y a pas de raison d’en douter), Irvin D. Yalom est connu en France par ses romans, prenant pour personnages de grands philosophes du passé (Le Problème SpinozaLa Méthode SchopenhauerEt Nietzsche a pleuré).