César Capéran ou la Tradition, Louis Codet (par Catherine Dutigny)
César Capéran ou la Tradition, novembre 2018, 144 pages, 6,10 €
Ecrivain(s): Louis Codet Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon
Elégance, finesse, délicatesse, la liste des adjectifs qui accompagnent la lecture des textes de Louis Codet sont à l’image de ce dandy roussillonnais par sa mère et limousin par son père, formé au Lycée Condorcet, Docteur en droit, parfait exemple de cette élite intellectuelle du début du XXesiècle qui écrit, peint, débat à l’Assemblée nationale avec un total naturel et une parfaite aisance.
Dans ce court roman qui sera édité par Gaston Gallimard après sa mort, Louis Codet, le ton enjoué et gentiment moqueur, décrit la rencontre du narrateur avec un jeune gascon, César Capéran, « monté » à Paris dans l’attente d’un obscur poste au sein d’un non moins obscur ministère des Colonies. Un jeune homme qui ne fait strictement rien de ses journées et vit chichement sur les modestes revenus d’un petit domaine occitan de Barbazanges qui lui fournit pommes, poules et vin. « C’était du bon vin blanc, très clair, ayant goût de pierre à fusil, l’agréable vin de l’Armagnac. J’en avais bu de semblable dans son pays, là-bas, quelque soir où je me reposais, entre deux caisses de lauriers roses, sur le seuil plaisant d’une auberge, tandis que les chars à bancs qui revenaient du marché roulaient sous les ormeaux poudreux de la grand’route… » (p.26).
Les deux hommes se fréquentent et se rejoignent dans une amitié complice bâtie sur l’amour de la bonne chair, des beaux paysages de leurs lointaines provinces et sur la lecture de Bossuet et de Diderot. Ils se retrouveront quelques années plus tard lorsque César Capéran aura été nommé par piston au délicat poste de Conservateur d’un musée de son pays natal conservant entre ses murs quatre incomparables soupières orphelines.
On sait que Louis Codet s’est inspiré de l’un de ses amis Victor Gastilleur pour camper le personnage de César Capéran et que les lieux évoqués soit à Paris soit en Province ne doivent rien à une imagination débridée. Bien au contraire. L’œil du peintre se confond bien souvent avec la plume de l’écrivain dans des descriptions d’une précision et d’une coloration exquise. Car Louis Codet colore les mots, les ambiances, les faits et gestes qu’il décrit, il sonorise ses saynètes, parfume ses phrases et recourt à l’accumulation pour rendre plus saillantes, plus frappantes ses descriptions. « Debout, l’œil étincelant, les pommettes en flammes, il faisait des gestes superbes ; sa belle voix de baryton couvrait tous les autres bruits, les rires, les violons, la grosse rumeur de la foule, et son accent toulousain tapaient sur les mots sonores comme un diable d’enfant tape sur un chaudron » (p.44).
Ecrivain des sens, des perceptions, rejetant comme un certain nombre de ses amis écrivains de ce début de siècle le roman naturaliste, il veille au détail et tout en employant une langue châtiée, aime un art littéraire simple et limpide.
Moderne, Louis Codet ? Sans doute. En tout cas, certainement un écrivain singulier. De lui on pourrait dire par la manière dont il traite ses personnages qu’il est l’anti Emmanuel Bove par excellence. Deux auteurs, deux stylistes peu connus du grand public et qu’une trentaine d’années séparent, mais qui s’attachent dans leurs œuvres respectives à décrire des existences de personnes a priori plutôt banales, souvent vouées à la procrastination, à une destinée sans éclat. Alors que Louis Codet transcende ses personnages en les dotant soit d’une naïveté bon enfant ou d’un charme désarmant lié à leur sensibilité et à leur capacité à vivre en harmonie avec leur environnement, le second joue de leur médiocrité, de leur aigreur pour les couper de leurs congénères et les rendre insensibles à une nature par ailleurs peu présente dans les récits.
Quant à la fin du recueil de cette réédition par La Table Ronde du roman de Louis Codet, elle réserve la surprise de quatre délicieuses nouvelles qui complètent à merveille la (re)découverte de l’écrivain. Toutes sont réussies. Mais le sens du bon et du beau, tout autant sur le plan esthétique que moral, éclate avec brio dans Le Père Léonard, une nouvelle qui donne l’envie irrépressible en ce début d’année 2019 de condamner au pilon une partie de la littérature contemporaine magistralement délétère, toxique, pernicieuse.
Catherine Dutigny
- Vu : 1849