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La Une Livres

Le Cauchemar, Hans Fallada (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 02 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Roman, Folio (Gallimard)

Le Cauchemar, Folio, octobre 2021, trad. allemand, Laurence Courtois, 336 pages, 8,60 € . Ecrivain(s): Hans Fallada Edition: Folio (Gallimard)

 

Der Alpdruck (1947), en allemand signifie le cauchemar, mais aussi le mauvais rêve, celui dont on s’éveille en priant qu’il n’ait été qu’un moment d’égarement du cerveau, celui qui laisse en sueur et qui parfois incite à se lever, sortir de la chambre, traverser le couloir ou monter une volée de marches, et ouvrir discrètement la porte de la chambre où dorment des enfants qui ignorent tout de l’angoisse ressentie au cœur de la nuit. On prie. Et on referme, apaisé, la porte, puis on retourne au lit. Malheureusement pour l’Allemagne, malheureusement pour les Allemands montrés avec humanité dans le roman Seul dans Berlin (1947), dont Primo Levi disait qu’il était « l’un des plus beaux livres sur la résistance allemande antinazie », l’Allemagne d’après le « Renversement », celui initié par la défaite cinglante devant Stalingrad en 1942, n’est pas celle du réveil après un cauchemar : c’est celle du cauchemar continué.

Sève noire pour voix blanches, Jean-Louis Bernard (par Parme Ceriset)

Ecrit par Parme Ceriset , le Mercredi, 02 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Poésie

Sève noire pour voix blanches, éditions Alcyone, octobre 2021, 59 pages, 17 € . Ecrivain(s): Jean-Louis Bernard

 

Dans ce recueil, Jean-Louis Bernard nous invite à appréhender le réel à travers un jaillissement poétique de noir et de blanc. Ensemble, noir et blanc tissent le monde en lui apportant respectivement le vide et la matière, le mystère et l’évidence. Ils ne sont pas dans l’opposition mais plutôt dans une forme d’union sacrée immanente et permanente. De la « blanche ténèbre » à « la nuit de craie », on perçoit, dans le souffle des mots, le crépuscule qui « émiette sa clarté ». On se laisse envahir par l’atmosphère envoûtante qui s’installe au fil des pages, « entre les orties noires / et la blancheur des heures ».

Bientôt, on en devient presque un simple éclat d’encre, une « blanche / paraphe » ou une goutte « noire / flambée d’un écho ». On avance dans la pleine lucidité, conscients d’être amenés tôt ou tard à rejoindre ces « yeux des dormants », et déjà on sent dans nos pupilles ce « noir / révulsé de lumière ».

La Neige noire, Paul Lynch (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 01 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Le Livre de Poche

La Neige noire (The Black Snow, 2014), trad. anglais (Irlande) Marina Boraso, 306 pages, 7,10 € . Ecrivain(s): Paul Lynch Edition: Le Livre de Poche

L’Irlande de Paul Lynch est noire. Plus que noire, elle est trou noir, qui avale êtres et choses, vies et destins.

Il est revenu d’Amérique, avec sa femme américaine. Il rêvait du pays, quitté par pauvreté pour se faire un petit capital. Perché sur les poutres des gratte-ciel new yorkais, comme un funambule, il n’a jamais cessé de penser à la terre natale et à son retour. Il est revenu en Terre Promise et sa femme lui a donné un garçon. Le bonheur édénique enfin gagné.

Lynch raconte alors la chute – celle qui n’a pas eu lieu dans le ciel de New York où Barnabas Kane dansait sans peur sur les poutrelles et les structures métalliques des chantiers, celles où les ouvriers « se déplaçaient aussi sûrement que des mouettes ». Une chute sans rémission, dans laquelle la fatalité prend toute la place, inéluctable comme un noir destin. Le roman est entièrement construit autour de cette chute – mètre après mètre, chapitre après chapitre, s’égrenant comme les minutes d’une horloge infernale que rien ni personne ne peut arrêter. Chaque étape semble élargir l’enfer, abîmer les trois personnages de la famille Kane, les détruire, leur enlever peu à peu la raison et l’humanité. Même la nature autour de la ferme familiale se fait de plus en plus hostile, tempétueuse, froide et sombre.

Portrait du baron d’Handrax, Bernard Quiriny (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 01 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Rivages

Portrait du baron d’Handrax, Bernard Quiriny, janvier 2022, 170 pages, 17 € Edition: Rivages

 

Le baron Archibald d’Handrax, petit-neveu d’un peintre local oublié, Henri Mouquin d’Handrax (1896-1960), a-t-il existé ? La question se pose en ces termes, au passé, puisqu’au lendemain de sa mort, ses proches reçurent une carte postale qu’il avait écrite : « Je suis parti en voyage pour longtemps, vers un pays très lointain. Pour le moment, je suis en route ; il fait plutôt sombre, si bien que je n’ai pas tellement de paysages à vous décrire ». Cette interrogation est d’importance secondaire (Lichtenberg a bien donné, grâce au langage, une forme de réalité à un objet qui n’existe pas). Si Archibald d’Handrax avait été réel, comme il aurait eu le droit de l’être, et que Bernard Quiriny l’avait rencontré, il aurait gîté dans l’Allier, un département qu’on se contente en général de traverser sans vraiment s’y attarder et sans prendre le temps d’y admirer ce qui mérite de l’être. Peu de gens auraient par exemple l’idée de s’offrir un séjour à Montluçon, alors qu’il s’agit d’une belle cité, qu’on peut arpenter en toute quiétude, sans être incommodé par les hordes de touristes. À un étranger qui voudrait se faire une idée de la France, de sa nature séculaire, de ses rythmes profonds, on ne pourrait que conseiller de visiter l’Allier, qui vit en outre naître plusieurs écrivains, parmi lesquels Valery Larbaud, à qui le baron d’Handrax – qu’il ait ou non existé – emprunte plus d’un trait (petit clin d’œil, p.31).

Le médecin d’Avignon, Isabelle Pouchin (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 31 Janvier 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman

Le médecin d’Avignon, Isabelle Pouchin, éd. Gaspard Nocturne, mars 2021, 180 pages, 19 €

 

Le voyage d’Hugues Rivehaute, le « médecin d’Avignon », nous emmène en 1349 (et un peu au-delà), dans une France que la peste ravage, où les morts s’accumulent comme autant de corps indifférenciés, où l’atmosphère putride et le désespoir ont achevé de désarmer le personnage principal. « Vous n’en avez pas guéri un, pas un seul » (p.12). Abandonnant son engagement de médecin et son collègue Guy de Chauliac, Hugues a pour seul but de gagner le nord : « un homme failli ne manque à personne » (p.5). L’itinérance qui se fait alors par les pas se fait aussi par les pensées et les rêves : l’on découvre la rudesse des épreuves passées, telle que la perte de sa femme et de ses enfants qu’il a été incapable de sauver. Cependant, son chemin le conduit à rencontrer la bonté exceptionnelle d’une vieille femme isolée, Jeanne, qui après plusieurs semaines parviendra à le remettre sur pied ; un compagnon qui ne le lâchera plus, le chien Pelote ; la beauté ineffable de la nature et son découlement perpétuel ; ses bêtes qui semblent observer ironiquement le spectacle dramatique des hommes, victimes esseulées d’un fléau horrifiant.