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Sergent Getúlio, João Ubaldo Ribeiro (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 08 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Gallimard

Sergent Getúlio (Sargento Getúlio, 1971), João Ubaldo Ribeiro, trad. portugais (Brésil) Alice Raillard, 181 pages, 7,50 € Edition: Gallimard

 

Dans les traces glorieuses de João Guimarães Rosa (Diadorim) et de Juan Rulfo (Le Llano en flammes), ce roman magistral nous emmène sur les pistes sèches et poussiéreuses du Sertão brésilien et les sentes verdoyantes du Sergipe et nous invite, comme ses illustres prédécesseurs, à partager la noirceur, la violence et le désespoir de la vie des damnés de cette terre. João Ubaldo Ribeiro élève un chant funèbre, une mélopée sombre entonnée par un narrateur unique, dont le flux de conscience constitue la totalité du roman. L’écriture de Ribeiro agit comme une mithridatisation sur le lecteur, comme un poison injecté par doses infimes et qui provoque une accoutumance totale. Plus le roman avance, plus le style et la musique particulière de Ribeiro prend son ampleur, sa puissance, sa force de pénétration.

Si l’on pense en premier lieu aux maîtres sud-américains cités, le flot ouvert par le sergent Getúlio, évoquant pêle-mêle souvenirs personnels, événements politiques et historiques brésiliens, considérations personnelles sur la vie, la mort, les hommes, Dieu et le Diable, nous rappelle aussi le chemin terrible de Méridien de sang de Cormac McCarthy.

La Fin de l’amour, Enquête sur un désarroi contemporain, Eva Illouz (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Lundi, 07 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Points

La Fin de l’amour, Enquête sur un désarroi contemporain, Eva Illouz, septembre 2021, trad. anglais, Sophie Renaut, 544 pages, 11,80 € Edition: Points

 

 

Durant des siècles, l’art n’a cessé de célébrer l’amour, sa naissance, ses tourments, ses joies, voire son éternité. D’innombrables œuvres incitent ainsi à croire en l’amour, à désirer le vivre et, surtout, le partager, comme faisant partie de notre humaine condition. À ceci près qu’elles semblent quelque peu déplacées à l’époque moderne, voire en totale et douloureuse contradiction avec elle : quiconque, et peut-être est-ce le cas d’Emma Bovary en premier, confronte ses rêves à la réalité sentimentale moderne essuie une déconvenue cuisante, douloureuse – et déjà en 1956, Erich Fromm, un psychanalyste, constatait que L’Art d’aimer semblait en contradiction avec la modernité.

Capter l’indicible, Silvaine Arabo (par André Sagne)

Ecrit par Luc-André Sagne , le Lundi, 07 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Capter l’indicible, Silvaine Arabo, éd. Rafael de Surtis, Coll. Pour une Terre interdite, 2021, 80 pages, 15 €

 

 

C’est évidemment un paradoxe que de vouloir, comme le fait Silvaine Arabo, consacrer son dernier recueil à « capter l’indicible », c’est-à-dire à saisir, circonscrire, retenir par les mots ce qui par définition ne saurait l’être. Dès le titre s’installe donc une tension qui va traverser les soixante-six poèmes du recueil qui sont comme autant de tentatives pour la résoudre, ou mieux pour en tirer tout le potentiel poétique, tout le suc. Il s’agit de faire advenir, par une intensité d’observation et d’écoute, la véritable nature du monde qui nous entoure et que les vers vont s’efforcer de révéler. Avec peut-être, au bout du compte, l’éventualité de « n’aimer désormais /…Que l’aile et son reflet / Et l’eau de la rivière », de « descendre doucement vers le fleuve /…Pour s’y dissoudre », comme le suggèrent le premier et le dernier poème du recueil, horizon de cette quête qui est aussi un cheminement personnel.

Le Pain perdu, Edith Bruck (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 04 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Italie, Editions du Sous-Sol

Le Pain perdu, Edith Bruck, Editions du sous-sol, janvier 2022, trad. italien, René de Ceccatty, 176 pages, 16,80 € Edition: Editions du Sous-Sol

 

Il y a une bibliographie d’Auschwitz, de Dachau, des autres camps, de la Shoah. Des ouvrages essentiels, comme ceux de Robert Antelme, de Primo Levi, d’Imre Kertész, de Jorge Semprun, signalent des récits directement éclairants sur cette période. Témoignages bouleversants aussi. On est avec Le Pain perdu dans le même ordre d’idées, dans la même qualité d’approche.

Bruck, née en 1931 en Hongrie, dans une famille juive, est déportée à treize ans à Auschwitz et connaîtra d’autres camps, des années terribles d’émigration forcée, de déni humain, avant de s’installer, un jour, en Italie.

D’une famille nombreuse, six enfants qui ne survivront pas tous à la guerre, Edith relate avec réalisme, acuité, âpreté ces années-là qui pourront un jour renseigner utilement toutes celles et tous ceux qui ne sauront plus rien de la période nazie et de ses conséquences funestes.

Toute la famille a été embarquée un jour où la mère avait réussi à faire lever le pain. Il n’aura pas eu le temps de connaître le four et de rassasier ces pauvres exclus par le régime dans leur propre pays, du seul fait d’être juifs.

Mémoires d’un aventurier juif, Du Shtetl de Lituanie au Soudan du Mahdi, Getzel Sélikovitch (par Paul Rodrigue)

Ecrit par Paul Rodrigue , le Jeudi, 03 Février 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Mémoires d’un aventurier juif, Éditions de l’Eclat, trad. yiddish Paul B. Fenton, 309 pages, 29 €

Un Juif francophone d’origine lituanienne écrivait-il en yiddish ses Sept Piliers de la Sagesse en même temps que Lawrence d’Arabie ? Les mémoires de Getzel Sélikovitch n’ont pas la dimension des autres grands récits du genre. De forme plus modeste, ils ont pour but, selon leur auteur, « d’enrichir la littérature juive de la fin du XIXe siècle en apportant des éclaircissements sur des aspects de la science du judaïsme et des événements historiques » (1). Ces mémoires survolent et dépeignent, de 1879 à 1885, diverses sociétés d’Europe, d’Afrique du Nord et du Levant, avec, toutefois, un regard, sinon unique, du moins singulier.

Un Sorbonnard, tout compte fait, fraîchement sorti du shtetl, se passionne de mythologie égyptienne. À Paris, il est aussi courtisan de cercles prestigieux : Ernest Renan, le baron Joseph Günzburg, Eliezer Ben-Yehuda, le baron Maurice de Hirsch. Des études parisiennes au journalisme hébraïque, il part enquêter à Londres, puis il devient interprète d’arabe pour l’armée britannique et s’engage en Égypte pour participer à la répression des forces rebelles soudanaises. Il combat aux côtés des Anglais quand Osman Dhiqna, principal général du Mahdi Muhammad Ahmed, chef des troupes insurgées, attaque son camp.