De Tournier, l’on connaît surtout aujourd’hui Le Roi des Aulnes (prix Goncourt – à l’unanimité – en 1970, présenté par l’incomparable critique George Steiner comme « l’un des plus grands romans européens de ces dernières décennies »), et les Vendredi.
En 1969, Michel Tournier emprunte le personnage de Robinson Crusoé à Daniel Defoe dans Vendredi ou les Limbes du Pacifique. Ce texte, comme l’a rappelé notamment Martine Groult, est une superbe « revisitation » du grand texte Robinson Crusoé (1719) de Daniel Defoe (1660-1731). Revisitation situant l’action en 1759 et réalisant « une inversion de sens » puisque Tournier « fait de Robinson un élève de la vie sauvage au lieu d’un instructeur de la nature et du sauvage ». « D’abord tellurique, terrien, terreux, cloué au sol par l’attraction terrestre et plus encore par le poids de sa civilisation, écrit Jacques Chabot, le Robinson de Tournier, converti par le sauvage Vendredi aux joies légères de l’existence naturelle, se redresse, se porte vers l’altitude, où il devient progressivement un être aérien. Il s’élève au sommet d’un arbre, où il se livre tout entier à la rêverie d’un bonheur immobile et bercé, à la joie d’un départ sur place. « Il rêvait. L’arbre était un grand navire ancré dans l’humus et il luttait, toutes voiles dehors, pour prendre enfin son essor ».