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Essais

Du toucher, essai sur Guyotat, Antoine Boute

Ecrit par Sophie Galabru , le Mercredi, 05 Septembre 2012. , dans Essais, Les Livres, Recensions, La Une Livres, publie.net

Du toucher, essai sur Guyotat, 3,49 € . Ecrivain(s): Antoine Boute Edition: publie.net

 

Si Antoine Boute est un écrivain et poète dont la pratique repose sur l’exploration des formes de langage, de ses détournements, de sa sonorité et ses rythmes, il n’est pas étonnant alors qu’il se soit consacré à faire parler la langue de Pierre Guyotat. Langue parlée-écrite, expérimentant ses limites, refusant sa simple fonction de représentation du réel ou de communication d’un sens ; chez Guyotat on peut bien dire que la langue ne parle pas de quelque chose, mais que quelque chose parle en elle. Cette écriture au lieu de figurer défigure, ne livrant aucun un sens, car en réalité elle se préoccupe des sens, et essentiellement de celui du tact. D’ailleurs, dans cet essai, Antoine Boute ne veut s’intéresser à l’écriture de Guyotat que sous la perspective d’une écriture qui refuse toute forme ou tout esprit pour être pure matière, pur toucher.

Si vous n’avez pas lu Guyotat, l’ouvrage en offre une introduction qui sait mêler évènements biographiques et conséquences littéraires. Hanté par la présence de la guerre, de l’esclavage prostitutionnel et du viol durant la guerre d’Algérie à laquelle il fut appelé, Pierre Guyotat ne cessa d’élaborer un langage nouveau en rupture avec les traditions, détourné de sa faculté représentative, bref un langage prostitutionnel et corporel.

La solitude des mourants, suivi de vieillir et mourir, Norbert Elias

Ecrit par Christophe Gueppe , le Mercredi, 02 Mai 2012. , dans Essais, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Titres (Christian Bourgois)

La solitude des mourants, suivi de Vieillir et mourir, quelques problèmes sociologiques, avril 2012, traduit de l’allemand par Sybille Muller, et de l’anglais par Claire Nancy, 2012, 119 p. 7 € . Ecrivain(s): Norbert Elias Edition: Titres (Christian Bourgois)

 

En quoi la mort constitue-t-elle un problème sociologique ? Nous mourrons seuls, dit-on, de même que nous vieillissons et que nous souffrons en nous-mêmes, sans que personne ne puisse éprouver à notre place ce qui nous touche. Si cela est partiellement vrai, cela n’empêche pas l’auteur de vouloir montrer en quoi la mort, notamment, rentre dans ce qu’il appelle un processus de civilisation, dont il prolonge l’étude ici.

Dans les sociétés modernes, nous pouvons en effet assister à ces scènes où des personnes âgées sont découvertes de nombreux jours après leur mort, dans un état de décomposition avancé, comme à la suite de la canicule de 2003 en France. Cette solitude des mourants, et des personnes âgées, est du même ordre que cette souffrance que la thérapie médicale cherche à atténuer au niveau technique, mais en ne s’intéressant qu’à nos organes. Or, ce n’est pas seulement un corps qui souffre, mais également la personne dans son ensemble, et dont la souffrance s’accroît, au niveau subjectif, de manquer de relations affectives pour l’accompagner dans cette souffrance.

Sexe et amour de Sumer à Babylone, Véronique Grandpierre

Ecrit par Guy Donikian , le Dimanche, 29 Avril 2012. , dans Essais, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Sexe et amour de Sumer à Babylone, mars 2012, 336 p. 8,90 € . Ecrivain(s): Véronique Grandpierre Edition: Folio (Gallimard)

 

La collection Histoire de Folio nous donne l’occasion de confirmer que la modernité de nos sociétés se situe bien du côté de la Mésopotamie, non seulement en raison de l’écriture cunéiforme que les sociétés qui s’y sont succédé ont adoptée, mais aussi pour l’organisation sociale qui prévalait et qui traduit le souci et la conscience aigüe qu’elles intégraient jusque dans l’intimité. Véronique Grandpierre, historienne, met à la disposition du lecteur une somme importante de données relatives à la conception qu’on avait du sexe et de l’amour il y a déjà 5000 ans dans cette Mésopotamie qui fut le lieu de tant de novations. C’est entre le Tigre et l’Euphrate que les dieux orientaient les comportements en la matière, faisant de la relation sexuelle un moment de plaisir dont naissent les hommes mais d’abord la végétation, les saisons…

« Et An (le Ciel), ce dieu sublime, enfonça son pénis en Ki (le Ciel) spacieuse

Il lui déversa du même coup au vagin la semence des vaillants Arbre et Roseau »,

Mais les dieux eux-mêmes ont des limites aux ardeurs qui les traversent comme Enlil, roi des dieux, qui cherche une compagne.

Peeping Tom, Alessandro Mercuri

Ecrit par Yann Suty , le Samedi, 10 Mars 2012. , dans Essais, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Récits, Léo Scheer

Peeping Tom, Editions Léo Scheer, 2011, 186 pages, 18 € . Ecrivain(s): Alessandro Mercuri Edition: Léo Scheer

Peeping Tom. Le voyeur en français. Comme le film de Michael Powell dans lequel un caméraman-tueur filmait les derniers instants de ses victimes, avant de les tuer. Le père de tous les snuffmovies.

Voilà un ouvrage étrange. Etrange n’est peut-être pas le mot qui convient le mieux, mais le premier qui vient à l’esprit quand on se retrouve devant ce livre qui ne ressemble à nul autre.

Les deux phrases en exergue donnent le ton.


« Créature mortelle et fugace, l’homme ne pouvant être voyant, doit être voyeur ». (Polyphème de Sicile, Mensonge et persuasion, VIe siècle, av. J.-C.).


“One of the great things about books is sometimes there are some fantastic pictures » (George W. Bush, 2000 ap. J.-C.).

La voix et l'ombre, Richard Millet

Ecrit par Guy Donikian , le Dimanche, 26 Février 2012. , dans Essais, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Poésie, Gallimard

La voix et l’ombre, Gallimard, Collection L’un et l’autre, 210 p. 21 € . Ecrivain(s): Richard Millet Edition: Gallimard

Un nouveau livre de Richard Millet est toujours une découverte dont les attentes ne sont pas déçues. La voix et l’ombre fait partie de ces livres qui nous retiennent tant on y palpe l’engagement physique de l’auteur. Chaque mot a sa place dans une rhétorique au service de ce que les mots sont pourtant incapables de signifier. Quoi de plus singulier que de vouloir, par le truchement d’une galerie de portraits, rendre compte des liens que la voix et l’ombre entretiennent dans le corps. Il faut avoir fouillé les arcanes de nos chairs pour effectuer ce voyage incantatoire dans les zones de la voix et de l’ombre. Richard Millet nous soumet que notre sujétion au réel ne peut nous conduire à la conscience à laquelle il nous convie. L’effort indispensable pour concrétiser par le verbe ce qui nous échappe mais dont nous avons confusément conscience est inscrit dans cette écriture qui utilise des figures de style comme l’oxymore, des paradoxes, des ambiguïtés, des contradictions pour rendre compte, à force de mots qui sont autant d’outils, de l’impossibilité même d’écrire.

« La voix et l’ombre (…), l’une et l’autre accouplées (…) dans une lutte, une torsion où elles se confondent quelquefois ». Ainsi l’auteur prévient-il d’emblée de sa vision qui ne souffre aucun confort. Il ajoute « nous sommes des ombres bruyantes » et les portraits qui suivront seront revêtus de cette double enveloppe qui parfois se déchire.