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La voix et l'ombre, Richard Millet

Ecrit par Guy Donikian 26.02.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Essais, Poésie, Gallimard

La voix et l’ombre, Gallimard, Collection L’un et l’autre, 210 p. 21 €

Ecrivain(s): Richard Millet Edition: Gallimard

La voix et l'ombre, Richard Millet

Un nouveau livre de Richard Millet est toujours une découverte dont les attentes ne sont pas déçues. La voix et l’ombre fait partie de ces livres qui nous retiennent tant on y palpe l’engagement physique de l’auteur. Chaque mot a sa place dans une rhétorique au service de ce que les mots sont pourtant incapables de signifier. Quoi de plus singulier que de vouloir, par le truchement d’une galerie de portraits, rendre compte des liens que la voix et l’ombre entretiennent dans le corps. Il faut avoir fouillé les arcanes de nos chairs pour effectuer ce voyage incantatoire dans les zones de la voix et de l’ombre. Richard Millet nous soumet que notre sujétion au réel ne peut nous conduire à la conscience à laquelle il nous convie. L’effort indispensable pour concrétiser par le verbe ce qui nous échappe mais dont nous avons confusément conscience est inscrit dans cette écriture qui utilise des figures de style comme l’oxymore, des paradoxes, des ambiguïtés, des contradictions pour rendre compte, à force de mots qui sont autant d’outils, de l’impossibilité même d’écrire.

« La voix et l’ombre (…), l’une et l’autre accouplées (…) dans une lutte, une torsion où elles se confondent quelquefois ». Ainsi l’auteur prévient-il d’emblée de sa vision qui ne souffre aucun confort. Il ajoute « nous sommes des ombres bruyantes » et les portraits qui suivront seront revêtus de cette double enveloppe qui parfois se déchire.

« Nous avons remué de l’ombre dans le ventre de notre mère, nous clamons l’ombre que nous sommes, nous vieillissons dans notre voix ». Tout peut se traduire par l’ombre, dans et par laquelle nous naissons, et par la voix avec laquelle nous vivons. Mais parce que « le rire est ce que le jour soustrait à la nuit humaine », nous ne nous débarrassons jamais de l’ombre avec laquelle la voix doit composer. Et c’est bien une immersion dans le cœur du corps, dans les chairs immatérielles que sont la voix et l’ombre à laquelle nous sommes conviés.

Richard Millet s’offre le luxe de textes courts, qui parfois ne contiennent qu’une seule phrase, pour signifier l’indicible beauté du mystère du corps, et pour écrire l’imbrication plus que la complémentarité de la voix et de l’ombre, et le regard de l’auteur permet une galerie de portraits saisissants dont celui de sa première épouse, Hélène, qui écrit-il, n’aura pas vieilli et il poursuit en disant « je garde sa voix en moi et me souviens de son ombre ».

La lecture de ce texte est parfois épuisante en raison même de son immense qualité littéraire. Il faut le dire et le répéter, Richard Millet est un véritable écrivain, puisqu’il associe liberté et beauté dans sa littérature, et La voix et l’ombre n’échappe pas à cette double exigence qui se retrouve dans toute son œuvre, exigence d’une écriture « proustienne ».


Guy Donikian


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A propos de l'écrivain

Richard Millet

 

Richard MILLET, né en 1953, a situé de superbes romans en Haute Corrèze (« la gloire des Pythre ») dont l’écriture et l’atmosphère prennent le champ qu’il faut par rapport à la dite « fameuse » école de Brive, à laquelle on associe souvent la Corrèze littéraire.

Elevé au Liban, il y combattit aux côtés des chrétiens, colorant son œuvre d’un parfum d’intégrisme. Editeur influent, polémiste redoutable, son ouvrage « le sentiment de la langue » fut salué du prix de l’essai de l’Académie Française.


A propos du rédacteur

Guy Donikian

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