Album de famille
Une fresque ou tapisserie aux motifs vifs mais indistincts et devant vingt petits visages inconnus. Elle au premier rang, avec un pantalon de velours côtelé bordeaux, de grosses chaussures d’hiver. Deux nattes, la mine sérieuse des enfants timides, qui aimeraient être ailleurs. De ces années de maternelle ne surnagent dans sa mémoire que quelques images au contour flou, et cette attente, diffuse, que cela finisse, qu’on puisse rentrer chez soi. Attente qui a innervé ensuite tant d’années de sa vie – attendre la fin du jour, de la semaine, attendre Noël, l’été, les vacances – fantôme scolaire tenace jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’étaient bons le jour, la semaine et l’année, et qu’attendre la fin c’était presser sa mort. Il avait fallu que s’estompe goutte à goutte ce désagrément d’être avec, le groupe, les autres, le bruit, cette tension dans l’apparaître, que se renforce cette capacité à s’abstraire, que se développe, douloureusement, une aptitude à la fluidité sociale – passer, repasser, circuler, se frôler, tissage superficiel et subtil qu’elle met en œuvre aujourd’hui avec une aisance qui l’émerveille encore tout en gardant persistant avec les années le sentiment de sa vacuité. Compagnonnages éphémères dont elle doute toujours de la réciprocité.