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Le Condamné à mort, Jeanne Moreau et Etienne Daho, Jean Genet, par Didier Smal

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 29 Novembre 2017. , dans La Une CED, Les Chroniques, Côté Musique(s)

Le Condamné à mort, Jeanne Moreau et Etienne Daho (Radical Pop Music/Naïve, 2010), Jean Genet, Gallimard/Poésie, 1999, 130 pages, 6,20 €

 

La poésie mise musique, on connaît, avec des réussites éblouissantes (John Cale et Do not go gentle into that good night, de Dylan Thomas, pour ne citer qu’un exemple), mais aussi des exercices intellectuels où certes la musique est d’une grande beauté, mais où la poésie, dans ce qu’elle a de plus formel, donne à l’ensemble un aspect guindé (rien à faire, Léo Ferré, c’est pour les connaisseurs, j’ai des difficultés à croire que ses enregistrements de Baudelaire et Rimbaud puissent donner un plaisir inconditionnel, une pure jouissance, à qui que ce soit) et des choses dont il vaut mieux feindre l’ignorance la plus totale (Mylène Farmer interprétant L’Horloge, à réserver aux sourds) ; l’interprétation du Condamné à mort de Jean Genet par Jeanne Moreau et Etienne Daho fait partie de la première catégorie, voire la sublime, et ce qui suit ne servira pas tant à le démontrer qu’à expliquer en quoi cette interprétation est bouleversante.

A propos de Ainsi parlait (Thus spoke), H. D. Thoreau, par Didier Smal

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 23 Novembre 2017. , dans La Une CED, Les Chroniques

Ainsi parlait (Thus spoke), H. D. Thoreau, Arfuyen, septembre 2017, trad. anglais (USA) Thierry Gillybœuf, 184 pages, 14 €

« Selon moi, une sorte de liberté est perdue pour toujours ou pour longtemps. C’est la liberté qui vient de la capacité à posséder son propre élément. Le poisson possède le sien, de même que l’oiseau et que l’animal terrestre. Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société ? »

C’est sur cette question terrible que se conclut l’ultime écrit de Stig Dagerman (1923-1954), ce bref texte comme une déchirure dans les illusions, cette injonction à trouver un sens à la vie loin de toute « fausse consolation », ce Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (1955) qui remue les tripes comme peu de textes en sont capables, provoquant une douleur, un désespoir d’une beauté fractale infinie dont jaillit une force existentielle faisant mentir la modernité. A cette question, Dagerman répond d’un lapidaire « nulle part », puis laisse entendre que cet « élément » est peut-être à trouver en nous désormais que le monde est quadrillé, désormais que la nature est soumise en apparence (mais prend des revanches dignes de la mythologie, biblique, grecque, aztèque ou autre) – désormais que le rapport unifiant à cette nature semble perdu.

A propos de Pierre-Joseph Proudhon L’Anarchie sans le désordre, Thibault Isabel, par Didier Smal

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 15 Novembre 2017. , dans La Une CED, Les Chroniques

Pierre-Joseph Proudhon L’Anarchie sans le désordre, Thibault Isabel, Editions Autrement, mai 2017, 182 pages, 18,50 €

Clemenceau disait : « Tout homme qui n’a pas été anarchiste à vingt ans est un imbécile, mais c’en est un autre s’il l’est encore à quarante ». A considérer certains quadragénaires, et d’autres plus âgés, croisés en rue, durant des festivals musicaux ou lors de manifestations « alternatives », à considérer l’attrait pour le A cerclé comme signe de ralliement, à considérer certains discours libertaires entendus (faire tout péter, certes, mais on met quoi à la place ?), on ne peut que donner raison à Clemenceau.

Puis un jour, les événements s’enchaînent de façon hasardeuse. On montre pour un élève une considération tout humaine, et celui-ci, avec un rien d’humour, offre en retour un ouvrage vu en librairie dont le sous-titre a dû le faire penser à son professeur de français quelque peu hors normes : « L’anarchie sans le désordre ». Du coup, le professeur lit son premier essai sur Pierre-Joseph Proudhon durant l’été, et, pour faire très bref, se découvre, à l’âge vénérable de quarante-quatre ans, une affiliation politique véritable, c’est-à-dire une pensée politique à laquelle il adhère de façon quasi inconditionnelle, à un bémol près, identique à celui entendu par Thibault Isabel dans la partition écrite par Proudhon pour une société à dimension humaine.

Jonathan Strange & Mr Norrell, Susanna Clarke

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 10 Novembre 2017. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Le Livre de Poche

Jonathan Strange & Mr Norrell, trad. anglais Isabelle D. Philippe, 1149 pages, 10,20 € . Ecrivain(s): Susanna Clarke Edition: Le Livre de Poche

 

Adapté en mini-série par l’honorable BBC, multi-primé l’année de sa parution (2004), repris depuis parmi de fiables listes des meilleurs romans de science-fiction jamais publiés, Jonathan Strange & Mr Norrell, le premier roman de l’Anglaise Susanna Clarke (1959), ne peut qu’éveiller la curiosité du lecteur amateur de prose intelligente à destination populaire. Et le moins qu’on puisse dire est que l’amateur est servi, gâté, enchanté, n’en jetez plus, on a affaire à un véritable chef-d’œuvre, toutes catégories littéraires confondues, un diamant dont chaque facette a été finement taillée et qui n’en finit pas de scintiller dans l’esprit du lecteur émerveillé.

Se déroulant de l’automne 1806 au printemps 1817, Jonathan Strange & Mr Norrell se présente comme une uchronie, une histoire alternative de l’Angleterre où la magie est un fait acquis – à ceci près qu’elle a plus ou moins disparu en ce début du XIXe siècle. Elle n’est plus qu’un objet d’études pour des magiciens qui sont en fait des historiens, à l’image de ceux qui, « dans la bonne ville d’York », se « réunissaient le troisième mercredi du mois et échangeaient de longues et ennuyeuses communications sur l’histoire de la magie anglaise ».

Sur "le Poison" de Charles Jackson, par Didier Smal

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 02 Novembre 2017. , dans La Une CED, Les Chroniques

Le Poison, Charles Jackson, Belfond Vintage, septembre 2016, trad. américain Denise Nast, 384 pages, 17 €

 

Ah le putain de grand roman ! Ah la putain de baffe en travers de la tronche ! Ah le sentiment de s’être mangé un mur littéraire en plein !

Bon, d’accord, ça ne se fait pas de débuter une chronique littéraire de la sorte, ça ne se fait pas mais on s’en moque. Ce n’est pas tous les jours que remonte des oubliettes de l’histoire littéraire un chef-d’œuvre, et on pardonnera les écarts de langage : parfois, on a tout simplement envie de dire ce qu’on a ressenti en lisant un roman, pas d’en livrer une savante analyse – enfin, savante, disons-le vite, la modestie est de mise. Tâchons quand même d’écrire quelques lignes sur Le Poison (1944, The Lost Weekend, dans la version originale, titre plus énigmatique et plus exact quant à la durée narrative), premier roman de Charles Jackson (1903-1968), pour lequel son auteur est célébré dans le monde anglo-saxon.