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Moustiques, William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 29 Janvier 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Points

Moustiques (Mosquitoes, 1927). Traduit de l’américain par Jean Dubramet. 328 p. 8,80 € . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Points

 

Ecrire, ne serait-ce que quelques lignes, sur un roman de William Faulkner semble toujours être d’une audace présomptueuse. Tant a été dit, écrit, analysé, disséqué sur l’œuvre du maître du Mississippi qu’il peut paraître inutile de dire encore quelque chose. Plus d’audace encore que de dire dans ce propos que le roman considéré est, probablement, le moins grand de son auteur. Mais le « moins grand » Faulkner ne serait-il pas aussi un grand roman ?

Un bateau de loisirs, la Nausicaa, en croisière sur un lac (probablement le Pontchartrain, jamais nommé dans le roman), appartenant à une grande bourgeoise créole, Mrs Maurier, emmène pour une croisière de quelques jours une bande de personnages « Bourgeois Bohêmes » – déjà – artistes, mécènes, jolies filles, bourgeois sudistes de la Jet-Society orléanaise. Croisière qui s’avèrera mouvementée mais surtout un moment d’échanges vides entre personnages qui ne le sont pas moins. Amour, argent, succès, déceptions – l’occasion est rêvée pour ces gens de trimbaler leur égocentrisme, de se l’envoyer à la figure à longueur de temps, dans une joute permanente lors de laquelle les « passions tristes » spinoziennes vont tenir la barre.

Lake Success, Gary Shteyngart (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 22 Janvier 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, L'Olivier (Seuil), Roman, USA

Lake Success, Traduit de l’américain par Stéphane Roques. 380 p. 24 € . Ecrivain(s): Gary Shteyngart Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Peut-on quitter Manhattan ? Peut-on sortir de ses tours, de ses rues, de ses appartements à 5 millions de dollars (au moins nous dit Gary Shteyngart – pour compter vraiment), de ses millionnaires spéculateurs hallucinés dont le cerveau est imprégné de chiffres, de courbes, de hausses et de gouffres boursiers ? Manhattan est n’est pas un quartier de NYC, c’est un « dedans » halluciné et hallucinant. Hors de Manhattan, il y a le « dehors », c’est-à-dire le monde réel, avec sa crasse, ses pauvres, sa boue. Le héros de ce roman est fasciné par le dedans-dehors. Il l’enseigne même à son jeune fils autiste, comme une leçon fondamentale :

« Avant le diagnostic, Barry s’allongeait à côté de son fils quand il avait peur du tonnerre et des éclairs et lui disait : « Tout va bien, Shiva. Parce que le tonnerre gronde dehors. Dedans, tu es à l’abri avec maman et papa. Tu comprends la différence ? Dehors et dedans. »

Le Train zéro, Iouri Bouïda (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 16 Janvier 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Russie, Gallimard

Le Train zéro, Iouri Bouïda, trad. russe Sophie Benech, 127 pages, 6,90 € Edition: Gallimard

 

Ce train Zéro, tout droit sorti de l’Enfer de l’Arc d’Héraclite, celui qui mène à l’inéluctable sort des hommes, vous hantera à jamais de ses bruits de ferraille, son souffle effroyable, son mystère vertigineux. D’où vient-il ? Où va-t-il ? Que transporte-t-il ? Qui le conduit ?

A la Station 9 de la Ligne, Ivan Ardabiev, surnommé Don Domino, veille, avec quelques personnes, à ce que le Train passe sans encombre, à l’heure dite « Ric-Rac » ! Il ne se pose pas de questions, il exécute les ordres venus « d’en-haut » parce que c’est l’ordre de la « Patrie ». Les gens qui vivent autour de la station 9 sont chrétiens, sont juifs, peu importe, ils sont d’abord très pauvres, très isolés et, peu à peu désespèrent et s’en vont. Le roman commence d’ailleurs de manière très drôle – on pense à une histoire russe célèbre :

« “Les Juifs s’en vont !” cria-t-il dans le vide sonore de la maison et, ayant attendu en vain une réponse, il retourna à la fenêtre. “Les Juifs s’en vont toujours. Il n’y a que des idiots comme nous pour rester !” ».

L’Amour du monde, Charles-Ferdinand Ramuz (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 09 Janvier 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Zoe

L’Amour du monde (1925), 200 pages, 10 € . Ecrivain(s): Charles Ferdinand Ramuz Edition: Zoe

 

Il y a toujours quelque chose d’étrange, de décalé dans les romans de Charles-Ferdinand Ramuz. Cela tient à ses univers dépouillés, ses récits d’une simplicité biblique, ses personnages frustes et surtout à son style si particulier, fait d’un mélange de sophistication et d’expression élémentaire. Il faudrait imaginer un Giono en plus épuré encore pour se rapprocher de l’écriture ramuzienne. Il faut cependant dire clairement que ce livre dépasse dans l’étrangeté tous les romans de Ramuz.

Ici encore, on retrouve son éternelle bourgade suisse – ici au bord du Léman – et ses personnages archétypiques, qui s’occupent au petit négoce, aux travaux domestiques, aux enterrements et aux amours des jeunes gens. Le monde de Ramuz – celui d’Aline* – fermé sur lui-même, coupé du temps et de l’espace environnant, un microcosme de passions simples et de drames privés.

« Il faut dire que nous sommes ici une petite ville de 4 ou 5000 habitants, pas plus, et qui s’était toujours tenue en dehors de la circulation. Nous sommes bien sur la ligne des grands rapides internationaux, mais ils passent sans s’arrêter.

Djamilia, Tchinghiz Aïtmatov (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 19 Décembre 2019. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman, Russie

Djamilia, Tchinghiz Aïtmatov, trad. kirghiz, A. Dmitrieva, Louis Aragon, 125 pages, 3 € Edition: Folio (Gallimard)

Ce court roman nous vient du Kirghizistan. Autant dire du bout du monde, en particulier en matière de littérature. Aïtmatov a écrit dans une langue qui n’a cessé d’être bousculée tant à l’oral qu’à l’écrit. Surtout à l’écrit, jugez-en : 1924, instauration de l’alphabet arabe (premier système à faire naître la langue kirghize à l’écrit). 1928, l’alphabet latin s’installe. 1941, arrivée de l’alphabet cyrillique, encore en vigueur aujourd’hui.

Quant à la littérature kirghize, on compte ses écrivains sur les doigts d’une main ou deux, Aïtmatov étant assurément le plus « connu » en France, grâce à Aragon qui a traduit ce roman (avec A. Dmitrieva) et surtout a dit de lui qu’il était « la plus belle histoire d’amour du monde ».

Sans être d’accord avec Aragon – les plus belles histoires d’amour sont depuis toujours les histoires d’amour impossible (Héloïse et Abélard, Tristan et Yseut, Roméo et Juliette, …) – on peut néanmoins dire que l’histoire d’amour que raconte ce livre est d’une rare beauté. On parle souvent de minimalisme en littérature. Avec ce roman on frise le… silence. Les moyens déployés, la structure narrative, l’épaisseur des personnages, tout y est d’un dépouillement total, à l’image du cadre de vie, la campagne glacée du Kirghizistan. A l’image aussi d’une société quasi primitive, aux travaux de la terre et à l’activité nourricière.