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De la mort au matin, Thomas Wolfe (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 27 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, USA, Stock

De la mort au matin (From Death to Morning, 1935) traduit de l’américain par R. N. Raimbault et Ch. P. Vorce. 280 p. . Ecrivain(s): Thomas Wolfe Edition: Stock

 

Ce recueil de textes est présenté – et c’est bien normal – comme un recueil de nouvelles. Or rien n’est plus étranger à Thomas Wolfe que ce genre littéraire spécifique. Si l’on s’en tient à la forme, oui, il s’agit de courts récits sur divers moments ou thèmes, des « nouvelles » donc. Mais très vite – pour qui connaît un peu l’œuvre du géant du Sud (par la taille et le génie) – on se rend compte qu’il s’agit de bribes de la montagne de feuilles manuscrites que Wolfe apporta un jour à son éditeur, le bon Maxwell Perkins de Scribner effaré, et dans laquelle il dut piocher, rapiécer, restructurer, pour en faire naître enfin quatre romans fabuleux et des « nouvelles » étincelantes. L’œuvre de Wolfe, en d’autres termes, est UNE, un bloc indissociable même s’il fut dissocié pour des raisons éditoriales. Wolfe se raconte comme une fiction, ou plutôt il raconte, dans un flot inextinguible, ce que sa mémoire ahurissante lui dicte. La phrase obsessionnelle en est l’outil, qui détaille tout, les recoins des lieux, des personnages, des faits. Le style de Wolfe est obsessionnel, fait de phrases récurrentes, d’imprécations exaltées, de champs lexicaux surchargés.

Le Maître du Haut Château, Philip K. Dick (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 20 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Le Livre de Poche

Le Maître du Haut Château (The Man in The High Castle, 1962), trad. américain, Michelle Charrier, 380 pages, 7,90 € . Ecrivain(s): Philip K. Dick Edition: Le Livre de Poche

 

La pire erreur que l’on pourrait commettre à propos de Philip K. Dick serait de le confiner dans l’espace exclusif de la Science-Fiction – avec la condescendance qui accompagne trop souvent ce confinement. Dick est un grand écrivain et son champ est la SF ou la dystopie ou l’uchronie. Il est, avec JG. Ballard, Clifford Simak, Ray Bradbury et Isaac Asimov, l’un de ceux qui ont érigé un genre considéré auparavant comme mineur en partie intégrante de la grande littérature. Le souffle narratif, l’universalité de la vision, la puissance de l’imagination mettent Philip K. Dick dans la troupe (nombreuse) des plus grands écrivains américains du XXème siècle. Et Le Maître du Haut Château, l’un de ses chefs-d’œuvre majeurs.

Le Maître du Haut Château, écrit en 1962, est une uchronie post deuxième guerre mondiale, qui court de 1948 à vingt plus tard. Les Alliés ont perdu la Guerre, Le Reich allemand et le Japon impérial ont triomphé et se sont partagé le monde. Une ligne de démarcation sépare les ex-USA en trois blocs, l’un dominé par les japonais à l’Ouest, l’autre par les nazis à l’Est et, entre les deux, une zone « neutre ».

Au cœur des ténèbres, Joseph Conrad (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 13 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Iles britanniques, Roman

Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness), trad. anglais Jean Deurbergue, 332 pages, 11,90 € . Ecrivain(s): Joseph Conrad Edition: Folio (Gallimard)

 

Il serait bien présomptueux de faire la critique globale du monument littéraire qu’est le court roman Au cœur des Ténèbres de Joseph Conrad. Lectures analytiques, thèses, articles, cours d’université, tout a été dit et écrit sur ce chef-d’œuvre de la littérature. Il est cité régulièrement parmi les plus grands livres de tous les temps – et ô combien à juste titre.

C’est un monument érigé à la condition humaine, sa détresse, sa folie, sa pathétique démesure condamnée à l’échec, à la mort. L’expédition racontée par le capitaine Charles Marlow, la remontée du fleuve Congo (jamais cité d’ailleurs) sur un rafiot rafistolé et bringuebalant, prend, au fur et à mesure de l’avancée dans la jungle primitive, l’allure d’un voyage en Enfer. La chaleur, l’air étouffant, les moustiques, les sons terrifiants venant des rives – le son prend une place centrale dans tous les romans de Conrad – font du fleuve une sorte de Styx bordé d’une verdure aussi impénétrable qu’angoissante. La nature ici est un temple de mort, de décomposition.

Tandis que j’agonise, William Faulkner (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 06 Mai 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman, USA

Tandis que j’agonise (As I Lay Dying, 1930), trad. américain Maurice-Edgar Coindreau, 246 pages . Ecrivain(s): William Faulkner Edition: Folio (Gallimard)

 

Il faut une certaine audace pour écrire encore sur l’un des romans les plus célèbres et commentés de l’histoire littéraire universelle. Dans tous les cas, il faut au moins avoir quelque chose de nouveau à dire sur cette œuvre – si c’est possible.

C’est là une troisième lecture de cette œuvre de Faulkner. Comme toujours avec cet auteur, aucune lecture réitérée de l’un de ses romans n’est une RE-lecture. On lit, à chaque fois, un autre livre. On suit à chaque fois, un autre fil de narration. On découvre, à chaque fois, des lumières et des ombres qui nous avaient échappé. Mais toujours, toujours, la magie fascinante de l’écriture faulknérienne opère.

On peut dire, après d’autres, que Tandis que j’agonise est une « épopée » burlesque, traversée de scènes du plus haut comique. Certes, ni les personnages, ni la famille Brunden dans sa profonde misère matérielle et morale, ni les événements rapportés n’incitent a priori au rire. La matrone de cette improbable famille qui meurt au son du cercueil que son fils Cash fabrique pour elle est une scène a priori plutôt sinistre. Et c’est dans ce fil paradoxal, cette crête étroite entre tragédie et comédie, que Faulkner nous convie et nous hallucine.

Hank Stone et le cœur de craie, Carl Watson (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 29 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA

Hank Stone et le cœur de craie (Hank Stone and the Heart of Chalk), Carl Watson, éditions Vagabonde. Traduit de l’américain par Brice Matthieussent. 63 p. 7,50 €

 

Une novella peut-être, un très court roman qui laisse sous le coup le lecteur incrédule. La puissance de ces brèves de quartier, d’un immeuble, le Stratford Arms – le héros vit, regarde et raconte ce qu’il voit de la fenêtre de son appartement – est proprement extraordinaire. Et c’est pourtant de l’ordinaire qu’il s’agit, de gens ordinaires, dans des scènes ordinaires, dans un quartier ordinaire de … New York peut-être ou bien ailleurs, partout.

Hank Stone est un regard et une oreille. On ne saura rien de plus de lui. Ni son allure, ni son métier (travaille-t-il ou passe-t-il tout son temps à regarder à travers sa fenêtre ?), ni ses pensées, ni ses émotions. Non. Juste un regard et une oreille. Sans le moindre commentaire. Il est difficile de ne pas évoquer le Grand Raymond Carver dans ce parti pris d’objectivation des scènes, dans cette mise à distance du vécu. Les bruits et les lumières/ombres peuplent ces brèves, les emplissant d’une inquiétude permanente, d’une tension dont il faut tenter de trouver l’origine. Des obsessions de Hank Stone sûrement. Son regard est panoptique, son écoute hyper perceptive. Il y a dans ces obsessions la fiche clinique d’un paranoïaque qui regarde le monde comme si, de chaque personne, de chaque objet, de chaque scène ordinaire pouvait surgir soudain, terrible et menaçante, une horreur.