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Senso, Camillo Boito (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 08 Juin 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Editions Sillage

Senso, Camillo Boito, trad. italien, Monique Baccelli, 68 pages, 7,50 € Edition: Editions Sillage

Ce très court roman (novella) accomplit en quelques dizaines de pages le miracle parfait de la littérature. L’art de la narration y est porté à un sommet indépassable tant la condensation et la richesse s’épousent en un ouvrage puissant et sublime. L’histoire que raconte ce roman aurait pu, sans aucun ajout d’éléments narratifs, faire l’objet d’un ouvrage de plusieurs centaines de pages mais Boito en fait un extrait pur, chaque goutte étant chargée de sens, d’évocation, de puissance imaginative. En un volume minuscule, Boito fait vivre une grande histoire d’amour, de trahison, de vengeance implacable. En un volume minuscule, Boito dessine le portrait inoubliable d’une femme, belle, hautaine et forte. En un volume minuscule, il nous brosse la caricature d’un homme, bellâtre et veule, lâche, vulgaire, indigne.

L’histoire se présente comme un extrait du journal intime de la comtesse Livia Serpieri. La Comtesse Livia – la diariste/narratrice – est une fleur vénitienne. Elle règne sur la ville, ses canaux, ses soirées mondaines, ses salons, par sa beauté épanouie, la richesse de son mari et un esprit pétillant. Venise et ses fastes, ses artifices, font terreau à cette beauté que la vie enchante et qui enchante la vie autour d’elle dans les salons. Elle a le monde à ses pieds et un pouvoir rayonnant sur ses amis et relations, hommes et femmes.

Aux aubes de Satan - Job, le masque du malheur (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Vendredi, 04 Juin 2021. , dans La Une CED, En Vitrine, Les Chroniques

 

Et Job, comme l’un des premiers échos du dit sur l’homme mordu par la douleur. Avec lui, le Mal ne lésine guère : la terreur qui l’engloutit est dévastatrice, ne laissant aucune place au drame et à la lutte contre l’adversité. Job c’est le regard désespéré de l’homme errant entre son vide intérieur et le vide du ciel, c’est la longue plainte face au gouffre du Destin, écho de toutes les lamentations humaines. Écoutons le chant sourd de sa misère.

 

Périsse le jour où je fus enfanté ! (Job. III. 3)

 

Pourquoi ne suis-je pas mort au sortir du sein

Et n’ai-je pas expiré quand je sortais du ventre ?

Pourquoi deux genoux m’ont-ils accueilli

Et pourquoi deux mamelles à sucer ? (Job. III. 11-12)

Sonnets et autres poèmes, Œuvres complètes VIII, William Shakespeare, La Pléiade (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 02 Juin 2021. , dans La Une Livres, La Pléiade Gallimard, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Théâtre

Sonnets et autres poèmes, Œuvres complètes VIII, mars 2021, sous la direction de Jean-Michel Déprats et Gisèle Venet, 1052 pages, 65 € (59 € jusqu’au 30/09/2021) . Ecrivain(s): William Shakespeare

L’entreprise de La Pléiade/Gallimard de publication de l’œuvre complète du barde de Stratford-Upon-Avon ne pouvait manquer d’inclure son œuvre poétique. Nous trouvons ici, dans un écrin somptueux de notes et d’éclairages, les pièces en vers majeures du grand Will, en particulier Vénus et Adonis (1593), Le Viol de Lucrèce (1594), et les célèbres sonnets (1609).

Tous les textes ici sont présentés en version bilingue grâce au travail d’une vaste équipe de traducteurs de haut vol.

Dire que William Shakespeare doit sa célébrité universelle au théâtre plus qu’à la poésie relève du truisme parfait. C’est ce en quoi cette édition de la Pléiade est particulièrement précieuse. Elle révèle un poète dont la profondeur et la musicalité enchantent. Ce volume propose les deux poèmes narratifs du barde de Stratford – Vénus et Adonis et Le Viol de Lucrèce – fort célèbres et prisés en leur temps et Les Sonnets que le XXème siècle a placés au plus haut de l’œuvre poétique du grand Will. La fluidité, les thèmes, l’intimité, la musique de ces pièces les rapprochent du lecteur contemporain, séduit par leur modernité et surtout par leur caractère subversif tant formellement que dans le propos.

Perturbation, Thomas Bernhard (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 26 Mai 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Roman, Gallimard

Perturbation (Verstörung, 1967), trad. allemand, Bernard Kreiss, 218 pages . Ecrivain(s): Thomas Bernhard Edition: Gallimard

 

Effroi. L’effroi qui hante chaque page de ce livre, qui le scande comme une mélopée infernale, comme un chant qui viendrait de fonds démoniaques. Non pas l’effroi issu d’événements terribles – ici c’est pire encore – l’effroi qui suinte des hommes, de leur folie, de leur violence, de leur haine. Thomas Bernhard porte sur les humains un regard désespéré, sans la moindre trace d’empathie ou de miséricorde. Ses personnages, sans exception, sont des monstres et ce qui les rend si terrifiants est qu’ils ne sont pas des erreurs de la nature ni des créatures d’un autre monde. Ce sont des hommes.

Le chemin du docteur et de son fils narrateur – dans les monts et vallées du nord-est de la Suisse alémanique, à la frontière de l’Autriche – dans leur tournée médicale ordinaire, ressemble à un voyage en Enfer. Du débile alcoolique qui tue la femme gargotière d’un bistrot infâme – sans raison – jusqu’à l’aristocrate fou, paranoïaque, millénariste, chargé d’une mission satanique : balayer tout autour de lui – ses terres, son château, jusqu’à son existence et son nom.

Méridien de sang, Cormac McCarthy (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 18 Mai 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Points

Méridien de sang (Blood Meridian, or the Evening Redness in the West, 1985), Cormac McCarthy, Points, 2016, trad. américain, François Hirsch, 463 pages, 8,20 € . Ecrivain(s): Cormac McCarthy Edition: Points

 

Le gamin – nous ne saurons jamais son nom – nous mène dans une traversée hallucinée de quelque chose qui ressemble à s’y méprendre au cœur de l’Enfer. C’est la structure même du roman. Un déroulé d’épisodes, de scènes, de rencontres qui est la marque de McCarthy, cet amoureux des phrases coordonnées, scandées par les et … et … et. Cette scansion donne à tout le roman une musique de litanie funèbre, de thrène cent fois répétée, couvrant ainsi tout le récit de la résonance du théâtre antique. L’ostinato du récit qui se tient entre le Texas et le Mexique – évoque aussi, puissamment, le célèbre et sinistre Deguello mexicain, air de trompette déchirant et infiniment répétitif, joué à l’occasion des grands massacres guerriers (on l’entend, entre autres, dans le fameux Alamo de John Wayne), ceux où on annonce qu’il n’y aura place pour aucune pitié. Et, pendant que nous évoquons le cinéma, il est impossible de ne pas parler des films de Sam Peckinpah qui semblent planer sur chaque scène du roman. Des moments surgissent, tout droit sortis de La Horde Sauvage. Car Méridien de sang est un roman très visuel, les couleurs y jouent un rôle essentiel, à commencer par son titre bien sûr.