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Satan, Prince des rebelles (par Léon-Marc Levy)

, le Jeudi, 01 Juillet 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Insistant, le regard découvre vite derrière les traits de la peur une étrange fascination. Satan séduit, porte dans les syntagmes morphiques et ou discursifs de son mythe de larges pans des rêves les plus fous et les plus obstinés des hommes. Il reste marqué des traces de ses aubes, de la lumière éblouissante de l’Ange Lucifer et de sa révolte contre Dieu. Les premières lézardes qui sillonnent l’ordre édénique voient s’immiscer le Diable sous le masque du Rebelle Suprême à l’œuvre divine, sous les traits de l’Opposant Radical. Au Jardin d’Éden tout son rôle consiste à lever le poids logique de la Loi pour lui substituer un autre ordre logique, pas moins puissant, celui de la transgression, de la rébellion. Et ses arguments portent, parce qu’il y a de quoi. La révolte de Satan met en joue la responsabilité même de Dieu dans le malheur des hommes : créateur de tout, donc du Mal aussi, il installe la liberté des hommes dans l’espace inclus entre sa Loi et l’Arbre de son interdit, mettant ainsi en place les éléments constitutifs et fatals du Péché et de la Chute. Le nom même de Satan prend un singulier éclairage quand on le confronte à son étymologie : le verbe « Sâtan » signifie en hébreu « accuser », d’où pour le nom propre, « celui qui accuse ». On lit dans le Livre de Zacharie :

Une nuit en Acadie, Kate Chopin (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 30 Juin 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, USA, Editions des Syrtes

Une nuit en Acadie, Ed. des Syrtes, trad. américain, Marie-Claude Peugeot, 152 pages, 15 € . Ecrivain(s): Kate Chopin Edition: Editions des Syrtes

 

Comme une série de tableaux vivants, la trop rare Kate Chopin, brillant météore de la littérature créole du Sud des États-Unis, nous décline des scènes de la vie acadienne, à la manière d’un opéra ancien de Monteverdi ou Purcell. C’est un monde disparu qui prend ainsi vie sous nos yeux, disparu dans le temps, les modes de vie, les structures sociales. Disparu littérairement aussi, par cette langue anglaise parsemée largement de français, et dont la forme générale est largement inspirée du style de Flaubert ou de Maupassant. Kate Chopin a hésité entre les deux langues pour chacune de ses œuvres et a finalement opté pour l’anglais où, peut-être, elle se sentait plus à l’aise. Mais elle parlait surtout le français, comme la plupart des Acadiens de la fin du XIXème siècle.

Il ne faut pas se tromper sur le terme de Créole. Il n’a aucun rapport avec ce que nous nommons les Créoles aux Antilles aujourd’hui. Il s’agit plutôt de grands bourgeois immigrés au Sud des USA, Français pour l’essentiel, et qui vont constituer une classe sociale et un mode de vie à part, élégants, cultivés, souvent prétentieux et arrivistes. Nombre d’entre eux se piquent de littérature – surtout française – et Flaubert, Balzac, Lamartine et Maupassant peuplent les rayons des bibliothèques « nobles ».

Messe pour la ville d’Arras, Andrzej Szczypiorski (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 22 Juin 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Pays de l'Est, Roman, Editions Noir sur Blanc

Messe pour la ville d’Arras, Andrzej Szczypiorski, mai 2021, trad. polonais, François Rosset, 165 pages, 18 € Edition: Editions Noir sur Blanc

Dans les grammaires du pouvoir en crise, le Juif est un syntagme central, articulé entre le désespoir d’une opinion publique et la faiblesse d’une autorité qui se veut à l’écoute de la vox populi pour sauver sa pérennité. Dans l’hystérie qui saisit les foules en temps de crise – une épidémie de peste dans ce roman –, la question de l’hystérique au maître politique et/ou spirituel se fait pressante, impérative : « tu dis que tu es le maître, prouve-le ! » – et pour ce faire, il faut trouver le responsable de la crise. Satan n’est pas loin – nous sommes au XVème siècle –, seul le Diable peut avoir déclenché cette malédiction sur Arras. Le Diable, par l’intermédiaire de ses ambassadeurs sur terre : les Juifs. La haine du Juif consubstantielle à la haine de soi, qui la révèle et la propage, lui donne les ailes lourdes de la foule en colère. Que le Juif soit le premier déversoir de la peur est une constante historique universelle.

« Ce fut un jour sans fin. À midi, on exécuta le chef de la communauté. Les gens marchaient de nouveau sur la porte occidentale. Une sorte d’inassouvissement étreignait les cœurs. […] Le feu ravagea de nouveau quelques maisons juives. C’était un mélange de cris, de prières et de jurons, et le son des cloches, par-dessus ce tumulte, battait l’air en cadence ».

Les Sept fous, Roberto Arlt (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 15 Juin 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Cambourakis

Les Sept fous (Los Siete locos, 1929), trad. espagnol (Argentine), Isabelle et Antoine Berman, 391 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Roberto Arlt Edition: Cambourakis

A la fin de ce roman, Roberto Arlt localise et date son écrit après le dernier mot : « Buenos Aires le 15 septembre 1929 ». On a carrément du mal à y croire – à la date bien sûr – tant la modernité déferlante de ce livre est époustouflante. C’est un séisme littéraire, une rupture radicale avec le classicisme et le naturalisme ancrés dans la littérature argentine depuis Almafuerte et Cambaceres. Arlt introduit, de manière tonitruante, le réalisme fantastique dont on sait le prodigieux destin qu’il aura avec Borges, Bioy, Casarès, et d’autres. Il introduit le burlesque et le baroque dont on sait aussi la brillante destinée littéraire dans toute l’Amérique du sud.

Erdosain est peut-être fou. Sans doute même. Mais quand on sait la galerie de personnages qu’il va croiser dans ce roman, on peut sans hésitation dire que ce fou est (presque ?) le moins fou des sept. Dans sa quête des 600 pesos et 7 centimes qui doivent lui permettre de rembourser la somme qu’il a volée à son entreprise et d’éviter ainsi la prison, Erdosain va connaître un itinéraire balisé de personnages hallucinés, de fous furieux, d’excentriques inouïs, d’idéologues possédés qui vont, peu à peu, le rendre plus fou qu’il ne l’était au départ. Ce roman est une éruption volcanique et une irruption irrésistible d’une langue bouillonnante, qui mêle le savant et le populaire, l’intelligence et la trivialité.

Senso, Camillo Boito (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 08 Juin 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Italie, Roman, Editions Sillage

Senso, Camillo Boito, trad. italien, Monique Baccelli, 68 pages, 7,50 € Edition: Editions Sillage

Ce très court roman (novella) accomplit en quelques dizaines de pages le miracle parfait de la littérature. L’art de la narration y est porté à un sommet indépassable tant la condensation et la richesse s’épousent en un ouvrage puissant et sublime. L’histoire que raconte ce roman aurait pu, sans aucun ajout d’éléments narratifs, faire l’objet d’un ouvrage de plusieurs centaines de pages mais Boito en fait un extrait pur, chaque goutte étant chargée de sens, d’évocation, de puissance imaginative. En un volume minuscule, Boito fait vivre une grande histoire d’amour, de trahison, de vengeance implacable. En un volume minuscule, Boito dessine le portrait inoubliable d’une femme, belle, hautaine et forte. En un volume minuscule, il nous brosse la caricature d’un homme, bellâtre et veule, lâche, vulgaire, indigne.

L’histoire se présente comme un extrait du journal intime de la comtesse Livia Serpieri. La Comtesse Livia – la diariste/narratrice – est une fleur vénitienne. Elle règne sur la ville, ses canaux, ses soirées mondaines, ses salons, par sa beauté épanouie, la richesse de son mari et un esprit pétillant. Venise et ses fastes, ses artifices, font terreau à cette beauté que la vie enchante et qui enchante la vie autour d’elle dans les salons. Elle a le monde à ses pieds et un pouvoir rayonnant sur ses amis et relations, hommes et femmes.