Julius Winsome, Gerard Donovan (par Léon-Marc Levy)
Julius Winsome, Gerard Donovan, trad. américain, Georges-Michel Sarotte, 247 pages, 6,50 €
Edition: Points
Qui est Julius Winsome ?
Un grand lecteur de William Shakespeare ? Sans aucun doute, au milieu des trois mille trois cent quatre-vingt-deux livres que son père lui a légués.
Un solitaire absolu ? Assurément, dans sa cabane perdue dans une forêt du Maine du nord, à la frontière canadienne.
Le propriétaire d’un chien qu’il aime éperdument ? Bien sûr, son Hobbes adoré, mi-terrier mi-pitbull.
Un sniper exceptionnel ? Aussi, quelques-uns vont en faire la terrible expérience.
Ou bien un serial-killer ? Qui sait ?
La plus grande force de ce sombre roman – et il en a d’autres – c’est assurément qu’on se pose toujours ces questions à la fin de sa lecture. Parce que Winsome est tout cela à la fois, et que Gerard Donovan ne cherche jamais à trancher en faveur d’une réponse plutôt qu’une autre. Le chemin qu’il nous fait faire auprès de Winsome est tellement intime, tellement niché au creux profond des sentes intérieures d’un personnage désespéré et complexe, que nous terminons le livre sans avoir tranché nous-mêmes. Si Julius Winsome est un serial-killer, et il l’est évidemment, notre proximité avec ses pauvres amours, ses profondes misères, sa sainte colère, nous empêchent de le voir comme tel. Donovan rompt avec les canons du genre en campant un héros taiseux, fondamentalement gentil, grand cœur et néanmoins tueur en série !
Julius doit à son père – nous l’avons évoqué – une bibliothèque qui couvre toutes les parois de la maison qu’il habite. C’est son héritage : les livres et la passion des livres. Le père, mort depuis peu, était un obsessionnel collectionneur, un de ces hommes – on en connaît – qui entasse les volumes, les trient, les répertorient comme si leur vie en dépendait.
« Mon père ayant en effet tapissé la maison de trois mille deux cent quatre-vingt-deux livres, un nombre bien trop grand pour se souvenir de tous, il avait rédigé une fiche pour chacun d’entre eux, indiquant l’auteur, l’éditeur, l’année de parution, ainsi qu’un résumé du contenu ».
L’autre héritage, majeur celui-là car il structure la psychologie du héros et donc le roman, c’est l’obsession. Un « ostinato » ravageur, que rien ne peut lever, pas même alléger, comme un flot qui emporte Julius et le mène à des actes ahurissants. Même son amour pour son chien est obsessionnel : Hobbes (du nom du philosophe anglais) est plus qu’un compagnon pour Julius, c’est son double, un morceau de son cœur, une passion amoureuse qui se substitue à son désert affectif. Sa mort – qui survient dès les premières pages du roman – va constituer le point de rupture qui mène à une sorte d’au-delà du bien et du mal, un territoire halluciné dans lequel Julius va perdre toute notion morale. Et – si l’on peut dire – innocemment car il continue à être tranquille, doux. Disons-le, Donovan réussit le tour de force de ne jamais, à aucun moment du roman et même dans les actes les plus abjects de Julius, à nous le faire détester voire même à nous le faire condamner. La mort de Hobbes est une entrée en enfer. La découverte de son cadavre déchiqueté par les balles d’un chasseur, tout près de la maison, va entrer dans la cervelle de Julius et dévaster tout le reste.
« Qu’aurait dit mon père de tout cela ? Qu’aurait-il pensé d’un adulte, son fils en l’occurrence, complètement bouleversé par une histoire de chevrotine et de chien, assis dans le noir près d’un feu froid – si l’expression a un sens – en compagnie de quelque chose qui s’était glissé par la porte et se tenait tout près. Sensation ou air vicié, qui imposait sa présence tout en refusant de s’identifier, se déplaçait de pièce en pièce, frôlant les meubles, faisait bruisser les rideaux, avant de pénétrer dans la salle de séjour, les bras croisés, comme pour dire : Bon. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? ».
Une histoire glaçante dans le cadre glacial du Maine où les hivers commencent quand ailleurs commence l’automne et finissent quand ailleurs finit le printemps.
« Un hiver dure cinquante livres et vous fixe au silence tel un insecte épinglé ».
Léon-Marc Levy
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