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Articles taggés avec: Levy Leon-Marc

L’Ange des ténèbres, Ernesto Sábato (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 05 Avril 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Roman, Points

L’Ange des ténèbres (Abbadón el Exterminador, 1974), trad. espagnol (Argentine) Maurice Manly, 443 pages, 8 € . Ecrivain(s): Ernesto Sábato Edition: Points

 

Elles ont sur elles pour roi l’ange de l’abîme ; son nom en hébreu est Abaddón, qui veut dire l’Exterminateur

Apocalypse selon Saint Jean

 

Cette épigraphe place le roman sous l’égide du Mal et développe le titre original de l’ouvrage : Abaddón El Exterminador.

Sabato (sans accent sur le A – il s’agit donc du personnage du roman) regrette parfois son destin de romancier. Il se coucha et s’abandonna une fois de plus à son rêve de toujours : laisser tomber la littérature et ouvrir un petit garage dans un quartier inconnu de Buenos Aires. Par bonheur, Sábato ne s’est pas laissé tenter par le rêve de Sabato, cela nous eût privé du roman puissant qu’est Abbadón el Exterminador qu’il écrivit en 1974.

Le Nain, Pär Lagerqvist (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 29 Mars 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Pays nordiques, Roman, Stock

Le Nain (Dvärgen, 1944), Pär Lagerqvist, trad. suédois, Marguerite Gay, 271 pages, 8,40 € . Ecrivain(s): Pär Lagerqvist Edition: Stock

 

Le Nain est un géant littéraire. Dans un monologue amer jusqu’à la haine nous entendons les vagues de la misère, de la solitude, de la blessure, de la révolte et de la violence dont les hommes sont porteurs. Certes le narrateur est un nain – « une race à part » dit-il – mais c’est évidemment du genre humain que Pär Lagerqvist nous parle. La cour d’un Prince italien de la Renaissance, épiée par le regard assassin du nain-narrateur, devient métaphore d’un monde des hommes où le Mal est à l’œuvre jusqu’au pire. Piccolino, le nain difforme, figure un antéchrist noir comme la nuit la plus noire, une sorte d’inversion parfaite de l’image christique : aucune charité, aucune empathie, pas une once de bonté. C’est un monstre du corps à l’âme.

Lagerqvist décline, tout au long du roman, l’accumulation d’aversions et de haines de Piccolino. Peu à peu, se dessine une figure qui se révèle être le parfait négatif de la figure du Christ et, par là-même, des vertus prônées par le christianisme. A la vérité, le mensonge, à l’amour, la haine, à la paix, la guerre, à la charité, le mépris. Le nain est une condensation des pires pulsions de l’humanité, un personnage porteur de l’ombre de Satan dont il assume pleinement être une créature.

Le Poids de la grâce, Joseph Roth (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 22 Mars 2022. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Langue allemande, Roman, Le Livre de Poche

Le Poids de la grâce (Hiob, Roman eines einfachen Mannes, Berlin, 1930), trad. allemand (Autriche) Paule Hofer-Bury, 253 pages, 6,10 € . Ecrivain(s): Joseph Roth Edition: Le Livre de Poche

 

Un étrange roman dans l’œuvre de Joseph Roth. Comme un conte du Shtetl sorti des villages reculés de Russie au début du XXème siècle. Tout y est, même une forme de « Il était une fois » inaugural : « Voici déjà bien des années que vivait à Zuchnow un homme qui avait pour nom Mendel Singer ». Et puis tous les éléments traditionnels du genre : une famille juive, très pauvre, très croyante, très malheureuse. D’autant plus que le petit dernier des quatre enfants, Ménouhim, est plus ou moins infirme : des petites jambes arquées, un cou gracile qui ne parvient pas à tenir sa tête droite et il est muet, à l’exception d’un mot qui sert à tout : « ma-ma ».

Roth fige le paysage alentour dans des images qui semblent tout droit sorties d’un recueil de clichés d’une Russie finissante, accentuant ainsi la couleur de vieux conte du shtetl :

Suttree, Cormac McCarthy (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 15 Mars 2022. , dans La Une Livres, En Vitrine, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman, USA

Suttree, Cormac McCarthy, trad. américain, Guillemette Belleteste, Isabelle Reinharez, 620 pages . Ecrivain(s): Cormac McCarthy Edition: Folio (Gallimard)

 

Ce livre déferle sur nous comme un flot terrible. Le langage lèche, frappe, blesse – un flot de débris, poétique et trouble. C’est intime et rude, sans cette netteté ennuyeuse et la volonté de clarté que vous trouvez dans n’importe quel roman bien fait. Cormac McCarthy a peu de pitié à partager, pour ses personnages ou pour lui-même. Son texte est brisé, beau et laid, c’est selon. M. McCarthy ne nous bercera pas avec une chanson douce. « Suttree » est comme un bon, long hurlement dans l’oreille.

Les lignes qui précèdent sont de Jerome Charyn : New York Times, 18 février 1979. Il n’est pas de meilleure introduction à ce qui suit.

Suttree est le roman le plus faulknérien de l’auteur le plus faulknérien. Jamais le flux de conscience n’avait retrouvé vie avec l’intensité, la brûlure que lui imprime Cormac McCarthy dans Suttree. Bien sûr, il y aura quelques années plus tard le très beau et très obsessionnel Méridien de sang, mais c’est bien dans Suttree que McCarthy déploie totalement son manifeste littéraire, celui qui proclame la langue comme objet central de la littérature.

La possession démoniaque : le corps-spectacle - Morzine et compagnie (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 09 Mars 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Dès les premiers symptômes à Morzine, les médecins avouent qu’« on ne peut faire entrer [Perrone] dans aucun cadre nosologique ». Les hommes de l’administration sarde dépêchés sur les lieux parlent de « phénomènes extraordinaires et inexplicables ». En quoi consistent ces phénomènes ? Rien de bien nouveau pour qui s’est laissé conter d’autre diableries, celles de Loudun plus de deux siècles auparavant : convulsions accompagnées de performances physiques peu courantes, invectives insultantes souvent à caractère sexuel, surtout venant de petites filles réputées « douces et bien élevées », délires mêlant superstitions locales et thèmes religieux. En somme – et les hommes d’église vont vite le comprendre – le tout-venant de la clinique démonologique.

Et le rituel, comme deux siècles plus tôt à Loudun, va déployer son théâtre, mettre en place ses tréteaux, ses acteurs, ses régisseurs, ses spectateurs. Les essaims murmurant d’hommes de savoir, de pouvoir politique et spirituel, vont se répandre dans les rues du village, dans les maisons, dans les têtes.