La Femme de Villon, Dazai Osamu (par Léon-Marc Levy)
La Femme de Villon, éditions Sillage, 2017, trad. japonais, Paul Anouilh, 61 pages, 6,50 €
Ecrivain(s): Osamu Dazai
Ce tout petit volume contient une magnifique nouvelle, un condensé époustouflant de fiction littéraire. La narratrice n’est jamais là où nous l’attendons et la puissance de ce court récit émane de ce décalage de l’histoire, des personnages, des énonciations. C’est ravissant, tonique, et c’est par-dessus tout un vibrant hommage à la poésie et à la littérature. Et encore Huzza ! pour les éditions Sillage qui ne cessent de nous dénicher des joyaux, de Thomas Wolfe à Cassola ou à Zamiatine.
Notre héroïne et narratrice a épousé un brillant poète, universitaire, conférencier. Toutes raisons pour être heureuse de son sort sauf que le bonhomme Otani est un joyeux luron, ivrogne, voleur, coureur, adepte du couteau à cran d’arrêt. Le lecteur français voit déjà une ombre se découper, celle d’un voyou bien aimé, poète et bandit. Nous apprenons d’ailleurs que Otani donne des conférences sur l’œuvre de François Villon.
De pauvres taverniers – spoliés par ce diable – viennent se plaindre à l’épouse et surprennent le mari chez lui.
Mon mari brandissait un couteau à lame rentrante. Je le lui avais déjà vu dans les mains. […] L’homme a reculé. Mon mari en a profité pour bondir au-dehors, les larges ailes de son macfarlane déployées comme celles d’un gros corbeau.
– Au voleur !
L’autre n’entendait pas lâcher sa proie. Il s’apprêtait à bondir à sa poursuite mais je suis descendue me poster pieds nus sur le seuil en terre battue pour l’en empêcher.
– Arrêtez, je vous prie ! Vous risquez de vous blesser tous les deux. Laissez-moi plutôt faire : je me charge de tout.
Dès lors, l’épouse devient le personnage central de la nouvelle. Et toute la force de cet écrit va venir de ce personnage étonnant, qui est sans cesse là où on ne l’attend pas du tout. Osamu Dazai se plaît à inverser complètement la notion de force d’âme et de caractère, déposant sur les épaules de l’épouse une malice, une autorité, une volonté hors du commun. On aurait pu s’attendre en bonne logique à une femme éplorée, voire furieuse, qui n’aurait d’autre projet que de honnir son voyou de mari. Au contraire, c’est une femme déterminée, optimiste et ambitieuse que l’on voit naître. Et tout commence par un grand éclat de rire.
Toute cette histoire présentait un tel aspect bouffon que je n’ai pu, une fois de plus, retenir mon fou-rire. La tenancière a rougi aussi et a esquissé un sourire. J’ai bien eu conscience de mon impolitesse mais c’était plus fort que moi. Je ne pouvais plus m’arrêter. J’en pleurais même. Oui, je comprenais enfin ce que, dans une de ses poésies, mon mari appelait « le grand rire de la fin du monde civilisé »…
La complicité du cœur qui lie les deux époux fait d’eux – sur un mode mezzo voce – des sortes de Bonnie and Clyde nippons des plus réjouissants. Dans la raideur morale qui structure les mentalités au Japon, ce petit livre est une provocation parfaite, d’autant que Dazai insiste sur la qualité du héros pour en faire une sorte de Villon du cru, personnage fascinant plus que révoltant, bandit bien aimé dont l’épouse-narratrice est une sorte de medium qui le porte dans un espace d’empathie auprès du lecteur.
S’il faut en croire Akichan, l’intelligence de M. Otani tiendrait du génie. Auteur à vingt et un ans d’un livre supérieur à ceux du fameux Ishikawa Takuboku*, il a écrit une dizaine d’autres ouvrages et malgré sa jeunesse on parle de lui comme du plus grand poète du Japon !…
Le couple est à croquer, comme cette délicieuse nouvelle.
Léon-Marc Levy
* Takuboku Ishikawa est le pseudonyme du poète japonais Hajime Ishikawa, né le 20 février 1886 et mort de tuberculose le 13 avril 1912 à l’âge de vingt-six ans. Surnommé « le Rimbaud japonais » et « le poète de la tristesse », il est plus connu sous la signature de son seul prénom, Takuboku.
Osamu Dazai (太宰 治, Dazai Osamu?), né le 19 juin 1909 et mort le 13 juin 1948, est l'un des écrivains japonais les plus célèbres du xxe siècle. Il est connu pour son style ironique et pessimiste, typique du watakushi shōsetsu et de l'école buraiha, ainsi que pour son obsession du suicide et son sens aigu de la fantaisie.
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