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Poète né, Christophe Esnault (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 07 Juillet 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Poète né, Christophe Esnault, éditions Conspiration, juin 2020, 60 pages, 14 €

 

Quel poète pour quel poème ?

Le dernier recueil de Christophe Esnault cache, sous sa belle couverture bleu métallisé, un ensemble de textes cohérents, variés, dont la lecture est à la fois exigeante, sollicitant les capacités d’ironie des lecteurs, et facile d’accès, car on n’y trouve pas de tentatives lyriques infondées ou faussement motivées. Ce qui frappe le plus, c’est l’ambiguïté, le caractère poreux des parties d’anti-poésie, comme les qualifie l’éditeur, et des passages que l’on aborde comme poème, alternance qui séquence l’ouvrage.

À partir de cette porosité, je crois qu’il faut poursuivre un peu l’analyse. En regardant, par exemple, comment le texte décolle de son propos, pour nous porter auprès d’une révolte, parfois engagée dans une forme de certitude, mais que l’ironie mordante à certains égards vient souligner ou défaire. Je crois que la morale de Diogène de Sinope pourrait très bien être celle du poète.

Ainsi parlait : Charles Péguy, dits et maximes de vie, Charles Péguy, Paul Decottignies (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 29 Juin 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Ainsi parlait : Charles Péguy, dits et maximes de vie, Charles Péguy, Paul Decottignies, Arfuyen, mars 2020, 176 pages, 14 €

 

Péguy ou La Recherche de la valeur

Je trouve le principe des dits et maximes de vie, qui font la base de la collection « Ainsi parlait » des éditions Arfuyen, très justifié, à la lecture profuse qui fut la mienne des Cahiers de la quinzaine. Je dis cela car le massif de ces cahiers prend ici, grâce à un choix judicieux, une direction particulière, précise, que ma lecture hasardeuse n’était pas arrivée à déterminer et que Paul Decottignies parvient à dénouer et éclaircir grandement. Ces fragments dressent le portrait d’un homme d’idées et de style, dont on distingue le tempérament, tout en suivant aussi le parcours intellectuel et spirituel, celui d’un grand écrivain attachant et droit.

À cœur ouvert, Lettres sur le bonheur, Giacomo Leopardi (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 08 Juin 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

À cœur ouvert, Lettres sur le bonheur, Giacomo Leopardi, éd. L’Orma, mars 2020, trad. italien, Louise Boudannat, 64 pages, 7,95 €

 

La claustration comme littérature

J’ai toujours tenu Leopardi pour un pessimiste. Et pour moi, cela n’engage pas de jugement moral. Au contraire, je crois à la force du désespoir, à cet affrontement à la mort dans le cœur de l’artiste, à la tristesse, à l’ennui et au néant. Le pessimisme léopardien est celui du poète, peut-être de tout poète. De plus, j’ai à l’esprit la terrible anecdote qui veut que Leopardi trouvât la mort dans l’épuisement et le travail, étouffé par l’air épais des bibliothèques, et plein de cette closerie involontaire à Recanati, qu’il ne quitta que peu pour dire vrai. J’aime penser à ce grand poète comme martyre de la connaissance et du génie. Et même si cela n’est que du roman, la chose procure une impression d’un homme tout entier livré à l’écriture. À mes yeux, il est mort pour la poésie, avec la poésie, dans la poésie, par la poésie.

Narcisse et Écho, Markus Lüpertz (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 11 Mai 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Narcisse et Écho, Markus Lüpertz, L’Atelier contemporain, juin 2020, 608 pages, 30 €

 

Écrire : une expérience

Parcourir l’ensemble des presque 600 pages des écrits de Markus Lüpertz est une possibilité donnée au lecteur de suivre à la fois le destin de la vie d’un peintre, et voir se dérouler une vie d’artiste au milieu de son expression qui évolue lentement vers une forme de discours versifié. Pour le dire tout de suite, j’ai aimé au fil du temps et des pages comment se construisait un monde arc-bouté et aboutissant à une poésie, une forme de vers libres. Cette méthode est d’autant plus intéressante qu’elle est capable de mettre l’accent aussi bien sur les conceptions de l’auteur au sujet de la peinture, évidemment, mais aussi au sujet du théâtre, de disserter sur la philosophie, ou faisant l’apologie de certains artistes, allant jusqu’à la poésie comprise comme poésie pour elle-même. Dès les premières pages j’ai vu que ce livre était avant tout le témoignage d’une expérience originale, avec ses risques, ses angoisses, pari pascalien, faisant état d’une foi dans l’écriture, et pariant sur ce choix, d’un artiste se formant en en passant aussi par le soin et les servitudes d’écrire. Puis j’ai été surpris de retrouver ce terme d’expérience, auquel s’ajoutait le mot universelle, à la toute fin de l’ouvrage. Aventure de mots donc qui souligne et détoure l’activité du peintre.

De l’improbable, Marie-Claire Bancquart (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 05 Mai 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

De l’improbable, Marie-Claire Bancquart, Arfuyen, 2020, 104 pages, 12 €

 

Passage

Le recueil, que publient à titre posthume les éditions Arfuyen, de textes inédits de la poétesse et professeure Marie-Claire Bancquart, instruit diversement. Tout d’abord comme témoignage de l’agonie sublimée où ces textes prennent place, formant l’arrière-fond de la rémission temporaire d’une longue maladie en une sorte de renaissance brève, oserais-je dire. Puis, comme écriture, sachant qu’il est vain évidemment de séparer les deux bords du poème : la vie et la langue. Et pourtant, rien de morbide dans cette leçon de philosophie morale, où j’ai retrouvé la même force d’exister que dans le Sénèque des Lettres à Lucilius, empreintes des ombres de la mort, mais tournées vers la force de l’esprit et de la pensée. Et même si la mort sous-tend ces pages denses et émouvantes, on suit ce travail d’écriture, d’écriture du regain en un sens, puisque même le destin et sa frontière entre vie et trépas s’abolissent et nous obligent à réfléchir, poussent chacun à ses propres leçons de ténèbres.