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Melancholia, Philippe Thireau (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 20 Avril 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Melancholia, Philippe Thireau, Tinbad, janvier 2020, préface Gilbert Bourson, 48 pages, 11,50 €

 

Texte organique

Pour aller vers ce texte de Philippe Thireau – lecture qui requiert une certaine discipline et un effort conceptuel – il faut accepter l’ellipse et le mystère. Car cette jeune fille et ce soldat qui occupent la diégèse, se disent par la voix d’un auteur, d’un poète, d’un récit qui gagne en épaisseur dans la présence nette de celui qui fait la narration. Ces deux personnages prodiguent à la fois du vif et du mortel. Un texte, donc, en forme d’intellection stylistique disant un corps organique. La vie par la mort, la vie par l’existence littéraire. De là, les intrigues, l’énigme non résolue, l’aphérèse.

Est-ce le poème de Victor Hugo où ce livre prend source ? dans la gravure de Dürer ? dans le Tres de mayo de Goya ? dans la Scène des massacres de Scio de Delacroix ? dans un Paul Delvaux et ses images de gares et d’érotisme ? Chacun tranchera par lui-même. Mais ces références indiquent quand même la violence, et les corps. Une sorte de corps produit par l’eau-forte de l’écrivain, qui regarde peut-être vers un texte organique.

Ainsi parlait, Etty Hillesum (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 14 Avril 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Ainsi parlait, Etty Hillesum, trad. William English, Gérard Pfister, Arfuyen, janvier 2020, 184 pages, 14 €

 

L’œuvre-prière

Avant d’en venir au cœur de mon sujet, je veux souligner combien le destin d’Etty Hillesum a été foudroyant et brutal. Et de ce destin, la jeune poétesse a produit une œuvre où l’on ne peut qu’admirer un courage extraordinaire, une lucidité et une force que communiquent ses écrits, et cela jusqu’à la fin de sa vie où, en route vers un camp d’extermination, elle jette des poèmes et des lettres par les portes de ces terrifiants trains de la mort. Et l’on devine ainsi une jeune femme qui, subissant les atrocités des actions génocidaires des nazis, le fait avec une hauteur de vue et un point de vue moral sans pareil. Elle défie ainsi la souffrance, la mort et l’injustice par ses journaux intimes, ses écrits inspirés par une sorte de mystique souveraine, menant à une clarté qui fait avancer le lecteur, vers un idéal qu’elle alimente d’une langue claire et forte.

Le Poudroiement des conclusions, Cédric Demangeot (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 06 Avril 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Le Poudroiement des conclusions, Cédric Demangeot, L’Atelier contemporain, février 2020, ill. Ena Lindenbaur, 144 pages, 20 €

 

Faux-semblants

Pour moi, concevoir un livre comme une entreprise de disqualification du poème au profit de la pensée, est une entreprise plutôt saine, salutaire, qui vaut pour elle-même. Car interroger les faux-semblants de la littérature tel que l’écrit Cédric Demangeot, de la poésie notamment, en critiquant son versant « protorococo », finit par aboutir à une expression saillante, mordante si je puis dire, et qui garde quand même une confiance relative dans le pouvoir d’écrire, dans le poème, et aussi dans la lecture conçue comme moment de création pour le lecteur. J’ai du reste pensé aux Aveux et anathèmes de Cioran, lesquels sont également une combinaison d’idées propres à mettre en doute, à décrire une mise en crise des chimères de l’être, et cela au profit d’un certain désespoir et d’une tension vers la hantise du suicide par exemple. J’ai aussi songé aux pages de Nietzsche, de son Zarathoustra, car le philosophe ne fait confiance à personne ni à rien, quand seules quelques créatures bizarres et inadaptées font un dernier ensemble de disciples à son héros en quelque sorte.

Europe Odyssée, Jean-Philippe Cazier (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 30 Mars 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Europe Odyssée, Jean-Philippe Cazier, éditions Lanskine, janvier 2020, 48 pages, 13 €

 

Chant choral des réfugiés

Écrire sur une action dramatique, voire sur une actualité brûlante et sans doute limitée dans le temps, sujette justement au sort de l’événementiel et de son traitement médiatique, représente une difficulté. Ici, traiter du parcours des réfugiés venus d’Asie ou d’Afrique jusqu’aux plages de Calais, ou pour être plus précis, vers tous les lieux de rétention, jungle ou autre colline au crack, ne cesse, ne se finit pas en sa propre description, sauf à trouver une langue qui ne tourne pas court, capable de suivre le temps à la fois ancestral et contemporain de la migration humaine. Ainsi, il est possible d’écrire le voyage et sa part brutale, où les langues justement, tiennent un rôle primordial. Cette expression, ce chant si l’on veut, est une supplique d’hommes qui pérégrinent, qui souffrent, sont incompris, et rejoignent en un sens le vaste langage, le « poème » tragique, le rang du chœur tragique de l’Antiquité d’Euripide ou de Sophocle. Europe Odyssée choisit le camp de l’odyssée, de l’Odyssée, de la rhapsodie, du récit des inconnus de la terre, des réprouvés, du monde épique et tragique des migrants en leur nouvelle définition sociale.

Une Lumière au cœur de la nuit, Georges Banu (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 17 Mars 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Une Lumière au cœur de la nuit, Georges Banu, Arléa, février 2020, 128 pages, 17 €

 

Mémoire de la lumière

Aller dans la lecture du dernier livre de Georges Banu, c’est un peu comme aller au spectacle. Non pas seulement parce que beaucoup de ces pages relatent et témoignent de différents spectacles, mais aussi pour le profit que l’on acquiert de la personne du critique. Ce dernier nous permet à la fois de vagabonder dans les théâtres, dans les villes, et pour finir, avec sa personne elle-même. La base, d’ailleurs, de la dissertation élégante et juste assez brève de cet ouvrage, permet par son sujet, le lustre, de revenir à l’enfance, en une manière proustienne, enfance d’un Roumain qui a choisi adulte la France. Et puisque j’évoque Proust, il me vient à l’esprit ce que dit Walter Benjamin de la phrase proustienne, qu’il considère comme une crue, la crue du Nil qui enfle et se dilate. Ici, c’est le lustre lui-même dont la lumière s’agrandit et se diffuse, de la petite enfance jusqu’à l’histoire de l’auteur depuis son installation à Paris en 1970 et la découverte d’un spectacle de Robert Wilson. Ce Roumain venu d’un pays angoissé, disons mieux, terrorisé par des années où l’éclairage était rationné par le gouvernement de Ceausescu, l’arrivée à Paris et ce premier spectacle parisien en sa débauche de feux et d’illuminations situent bien le contexte de ce livre important, qui déborde de beaucoup la stricte critique théâtrale.