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Sous les chapes grues, Jos Garnier (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 21 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Sous les chapes grues, Jos Garnier, éditions Milagro, février 2021, 48 pages, 10 €

 

Matière

Écrire quelques mots sur le livre de Jos Garnier me permet d’évoquer une chose qui m’intéresse, comme tout le monde je crois : ce qui est hors de soi et ce qui est intérieur. Ce matin, d’ailleurs, j’ai songé pour figurer physiquement ce que j’ai ressenti, à mon rêve de pèlerinage musulman tournant autour de la Kaaba (الكَعْبة) en dehors de toutes choses religieuses, juste pour le carré parfait où se trouve une pierre noire. Car cette façon de dresser devant le lecteur une sorte de mur graphique très énigmatique, textes sans majuscule ni ponctuation, finit par donner une impression presque insurmontable. Il y a autant de mystère que celui qui hante depuis tant de temps les figures de pierre qui se dressent sur l’Île de Pâques.

Il m’a semblé que ces poèmes (?) faisaient office d’endroit pierreux, dur, impénétrable. C’est pour cela que j’ai pensé au in et au out. Car devant ce peuple étrange des îles chiliennes, on balance presque dans l’inquiétude, car la limitation de ces statues, ici de ces poèmes, offre un champ profond d’investigations intellectuelles.

À 80 km de Monterey, Guillaume Decourt (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 14 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

À 80 km de Monterey, Guillaume Decourt, éditions Æthalidès, mai 2021, 96 pages, 16 €

Tentative

Quel plaisir de lire le nouveau travail de Guillaume Decourt où j’ai reconnu différentes tendances littéraires qui me sont familières ou que j’ai moi-même pratiquées. Le résumé est simple – mais toute la difficulté c’est justement de rendre le poème simple et non affecté par des poses : une tentative d’englober. Ce faisant, aller d’une forme vers une réalité augmentée – à l’instar de Cendrars célébrant ses Pâques à New-York. Ici, la réalité qui filtre, c’est le monde anglosaxon. L’auteur côtoie des lieux, des personnes, des littératures multiples et citées comme pour insuffler de la vie, un mouvement intéressant au sein du poème.

Le principe ici est rigoureux : 44 poèmes de 4 quatrains chacun (ce qui m’a rappelé le titre du film d’Abel Ferrara, 4h44, temps d’apocalypse, mêlant la peinture et d’anciens démons d’addictif). Ce protocole compris, Guillaume Decourt mêle à sa pâte linguistique des éléments hétérogènes, hétéroclites en un sens. Cette approche ressemble un peu au travail des Cantos de Pound, lequel par exemple fait intervenir des idéogrammes chinois sans traductions ou des coupures de journaux. Le tout pour en faire de la littérature.

Inventions du souvenir, Silvina Ocampo (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 09 Juin 2021. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Amérique Latine, Poésie, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Inventions du souvenir, Silvina Ocampo, avril 2021, trad. espagnol (Argentine) Anne Picard, 192 pages, 16 € Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

 

Hic et Nunc

Intituler cette note de lecture d’une locution adverbiale présentement d’un ici et maintenant, semble décalé et inexact. Mais il me semble que la poétesse a fait revenir son enfance dans le hic et nunc de ses vers. À la fin de ce long poème qui constitue l’ouvrage, autour de 500 vers, je me suis retrouvé incertain. Je m’apercevais, au fil de l’œuvre et grâce à cette espèce d’appareil du désir cherchant à faire jaillir une enfance de petite fille au milieu du poème, je m’apercevais donc qu’ici, nul temps et nul espace ne pouvaient fermer, circonscrire la petite fille dans un espace-temps linéaire, progressif et continu. L’ici et le maintenant faisant glisser pour le coup le lecteur dans son propre espace-temps, dans sa propre enfance. Bien sûr l’arrière-monde de la littérature sud-américaine est présent. On pense notamment à L’Amour aux temps du choléra. Ou encore à Cent ans de solitude. Donc Gabriel García Márquez.

Refaire le monde, Claude Minière (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 07 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie, Gallimard

Refaire le monde, Claude Minière, Gallimard, mars 2021, 64 pages, 11 €

Poésie plurivoque

Ce petit recueil de poèmes de Claude Minière s’est présenté à moi de manière presque échevelée, hésitante, ironique et ambiguë. Cette poésie joue sur différents genres – au sens musical peut-être. Elle va du mythe à la poésie engagée (pour la défense du climat par exemple), d’un travail très fin vers le registre ironique ; en bref, de l’aria au récitatif, de l’andante au scherzo, de l’ostinato au moderato cantabile. Travail de compositeur tout autant que de tailleur, lequel coud à partir de patron – ici compris comme ton général de chaque poème, qui confectionne des chasubles spirituelles ou des chlamydes venues de la poésie grecque.

La déesse me fait un appel du pied nu

de son pied elle me fait toucher chaque lettre

elle fait d’elle une avance

et je suis son Hermès porteur d’airelles

c’est aussitôt l’herbe verte et les dalles de marbre

les courses folles

Adeno Nuitome, Lola Molina (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 02 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Théâtre

Adeno Nuitome, Lola Molina, éditions Théâtrales, mars 2021, 60 pages, 10 €

 

La scène, la vie

Aborder un texte théâtral par la lecture est une entreprise ambiguë. Car cette lecture dans un fauteuil présente différemment cette expérience de la scène, de celle du théâtre au sens strict. Avec ce texte de Lola Molina, on reste bel et bien dans le spectacle de la vie, existence physique qui se dessine sous nos yeux. La seule nuance dans cette perception, c’est que l’on déduit de manière diffuse la biographie de l’auteure et la pure fiction ; là tout l’intérêt que j’ai porté comme liseur à cette pièce. En effet, cette impression qui se déduit de la biographie, porte à circonscrire la part vivante de cette espèce de prière d’insérer, c’est-à-dire une citation autobiographique qui flotte au sein du texte, un peu au hasard mais qui, ce faisant, saisit la sève des éléments d’une espèce de confession. Mais ici, pas de recherche de clés, ni de voyeurisme.

De plus, cette pièce tend vers le récit, le micro-récit, sorte de nouvelles denses et fragmentaires. Je crois que l’on est plus proche des pièces en un acte de Tchekhov que des dramaticules de Beckett.