Nos voix persistent dans le noir, Sylvie Fabre G. (par Didier Ayres)
Nos voix persistent dans le noir, Sylvie Fabre G., éditions L’Herbe qui tremble, juin 2021, ill. Jean-Gilles Badaire, 100 pages, 15 €
Habitation
On rencontre dans ce livre, si l’on essaye de discerner une tendance appuyée dans la trame générale de ce recueil, des concepts universaux et transversaux. Car il y a dans ce recueil, vie et mort, désir et crainte, soi-même et autrui qui se balancent, s’opposent et se scindent harmonieusement. De cet état de chose, je puis déterminer dans cet ouvrage de dizains, une sorte d’alternance entre le noir et le blanc, la force et la faiblesse, peut-être tout bonnement le yin et le yang chinois, inspirés du taoïsme. En tout cas, une préoccupation spirituelle malgré tout. Donc lumière et obscurité alternent, et le lecteur est obligé de trouver par les « huis » du poème le dessin de la « maison » céleste. Oui, car amour et haine, joie et angoisse cohabitent tellement dans notre monde matériel que le poème ne peut que s’aliéner à sa tâche de représentation de l’esprit.
Il ne faut ainsi pas résister à la force des mots, mais chercher là où les articulations les plus saillantes trouvent un abri, dans cette fameuse demeure hölderlinienne. Cette habitation donne la possibilité, comme en un château intérieur, de réduire le concept à l’image, l’idée au mot, à ordonnancer la parole et le silence, le mot à l’écrit. Ces dizains de Sylvie Fabre vaquent dans un mode double, physique et métaphysique, être et divinité, charnier et cathédrale. Bien et mal.
Nous ne sommes donc pas dans une poésie lyrique à proprement parler, mais dans un chant sourd, épais, licoreux, aux prises avec les rythmes de l’intériorité, avec sa lumière et ses ombres. Ainsi, même l’opacité convient, car on y reconnaît la coalescence chère à Deleuze. Donc, des fondus enchaînés successifs très énigmatiques et parfois impénétrables, sans que cela nuise à cette prosodie, nonobstant l’engagement envers la réalité et le monde. Terre et ciel se confrontent comme autant de voix dans le noir.
La planète en loques, ciel acide et terre émondée,
semblent ne plus contenir la prolifération des ronces
et des ruines, ni la panique des eaux du soleil
et des vents inaptes désormais à marier les contraires.
L’énergie primitive qui fait la vie aussitôt la défait,
entre éclair et foudroiement, ta cécité s’en étonne :
nos trous noirs, engloutisseurs d’espèces, laisseraient-ils
libre cours à toutes les pandémies et leurs outrances ?
Les fièvres climatiques comme les faillites morales
instruisent l’agonie du lien en ces fondations.
Didier Ayres
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