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Nos silences animaux, Serge Ritman (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 07 Février 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Nos silences animaux, Serge Ritman, éditions Collodion, novembre 2021, dessins Laurence Maurel, 72 pages, 12 €

Acuité

Ce qui frappe tout de suite à la lecture de Nos silences animaux, c’est la certitude du trait. Il ne fait pas preuve d’hésitation. Le texte est donc décidé dès les premières lignes et il manifeste clairement son lien avec la langue, lieu sûr et presque stable, assuré, qui nous permet clairement d’entrer de plain-pied dans l’univers du poète. Je dis donc poésie nette, car encline à la force paisible du contour littéraire. Du reste, ces poèmes s’accompagnent des fusains et lavis de Laurence Maurel. J’y vois la revendication d’une volonté définie de s’intéresser au mouvement de la plume, sorte de certitude pour la peintre (et ici pour le poète) d’une confiance dans le geste sans repentir, directement présent à la figure (ici au poème). Cette opération du pinceau ou du stylographe se teinte d’une vérité du discours pictural ou poétique.

avec dessiner ou écrire

à vite qu’il signe à même mon tissu

de serge

Un Cri, chose et signe, Jean-Paul Michel (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 31 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Un Cri, chose et signe, Jean-Paul Michel, éditions William Blake, janvier 2022, 8 €

 

L’être

Il m’a été difficile de trouver une approche de ce texte court et dense. L’ensemble constitué d’un dactylogramme corseté par des italiques, l’utilisation de crochets, de parenthèses, de guillemets, de points de suspension, d’interrogation, de décalages linéaires et d’une mise en page savante, se prête à la conjecture. L’entrée du lecteur se trouve armée par le poème tel qu’il se présente, c’est-à-dire, comme un ouvrage complexe. Cette escorte accompagne le « dit » de l’auteur, celui-ci prenant la place d’un aède ou d’un fou.

Cette poésie est d’abord architecture (prise dans le plan d’un architexte si l’on veut). Le lecteur est visiteur. Et cette demeure poétique augmente le liseur. L’agrandit. Lui offre des perspectives, des lignes de fuite, des arêtes, des fenêtres et des huis. Le texte est maison vivante.

Quand j’étais ton père, Guillaume Viry (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 24 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Théâtre

Quand j’étais ton père, Guillaume Viry, Les éditions Moires, novembre 2021, 88 pages, 13 €

Au tréfonds

Cette pièce de théâtre de Guillaume Viry m’a beaucoup touché dans le sens où je comprends dans ma chair cette relation du père au fils, qui relate quelque chose qui va aux tréfonds de la psyché, celle du fils tout autant que celle du père. Ma propre histoire familiale ressemble en un sens à celle que narre la pièce. De ce fait j’ai revécu, un peu « cathartiquement », mon rapport au père.

Les trois actes de ce texte filment, si je puis dire, les possibilités et les impossibilités de la conversation entre les deux protagonistes. Ainsi, puisque je viens de parler de catharsis, je me suis remémoré une conversation où nuitamment mon père adossait les destins de poète et d’industriel, avec évidemment un choix radical pour celui-ci. Donc, il s’agissait pour finir d’une fin de non-recevoir.

Ce commerce de la parole finit ici par confiner à la haine, et sans doute aussi à l’amour impossible venant du père, lui-même pris sans doute par une carence, un manque et peut-être, devine-t-on, un secret de famille. Donc : respect et colère, sentiment d’empathie et d’antipathie, d’approche et de rejet, de douceur et de violence, de connaissance et d’aveuglement.

Le temps a basculé, Andriana Škunca (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 17 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Le temps a basculé, Andriana Škunca, éditions L’Ollave, octobre 2021, trad. croate, Martina Kramer, 102 pages, 15 €

 

 

Matérialité

Découvrir ici où là la poésie croate est une activité très riche et vivante. Cela autorise à transcender le langage poétique par une esthétique et des thèmes novateurs – car dans ce cas la poétesse écrit depuis 1969, et que sa traduction est très récente. Andriana Škunca nous plonge et nous territorialise dans l’île de Pag où elle réside, dans une relation avec le temps, temps d’un lieu, temps du poème, temps de l’écrivaine. Ici se définit la matérialité propre à l’insularité, aux choses qui lui sont proches, aux objets ou choses de la réalité, s’appropriant de cette façon le calme et l’intensité du séjour îlien. La réalité ici reste saisie comme par une glace, par un sérac de langage, une gangue, une immobilité, un séjour.

Cailloux, Michel Stavaux (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Jeudi, 13 Janvier 2022. , dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Cailloux, Michel Stavaux, éditions D’Hez, avril 2021, 59 pages

 

 

Étrangeté

Il y a parfois des livres qui produisent une impression de distance, parce que, par exemple, il manque des images ou de la chair, distance que l’on ne prémédite pas, distance parfois nécessaire pour entrer dans un univers. Il est rare de traverser un recueil semblable à l’idée que l’on se fait d’une grande poésie, ou de se sentir proche d’un mot de cette quête de langage, quête du langage. Ici, le plus frappant, c’est la manière d’aller vers l’abstrait, de ne pas ressentir la contingence de l’existence de l’auteur, qui permet au lecteur de vagabonder dans cette zone au-dedans, dans l’esprit, où la pure parole, la pensée comme soupesée à l’aune de l’éclat, laissant un goût de beauté sans que l’on en connaisse la substance.