Obstaculaire, Cédric Demangeot (par Didier Ayres)
Obstaculaire, Cédric Demangeot, L’Atelier Contemporain, mars 2022, ill. Ena Lindenbaur, 128 pages, 20 €
Brutalisme
Je me suis permis de qualifier de brutalisme la poésie de Cédric Demangeot même si ce terme s’applique généralement à l’architecture. Je le fais car cela semble qualifier cette langue pleine de coins, d’angles, de surfaces brutes, d’excroissances parfois organiques, de moulages à froid. Où l’on y décèle nettement les architectures de sa pensée. J’y ai vu une esthétique de la brutalité.
Avant de poursuivre, je rappellerai les mots de Jean Genet qui écrit (je cite de mémoire) : J’appelle violence une audace au repos amoureuse des périls. Et même si cette poésie chante l’audace, elle chante surtout le péril, celui d’un ossuaire, d’obstacles au regard en soi, chantant une vérité sans apprêt, brut de décoffrage en un sens.
Pour améliorer mon propos, je dirais que cette langue est prise dans un phrasé qui autorise à la fois le silence et la violence de la forme, une écriture dont l’emphase n’est pas niaise. Une écriture de la pierre, de l’os sous forme de staccato, livrée à des sons, des flashes, des mises au point brutes, et en un sens désespérée. On y parle de sang, de sperme, de viande, de sécrétions calcaires, de blessure. Ainsi, essentiellement une poésie de la cicatrice.
Regarde monter
les terrassements.
Depuis la fenêtre
éteinte, on les voit
s’empiler avec lenteur
sous le sommeil empierré
du village. Au matin, j’
entends les terrassiers
se taire, et déjeuner à treize heures
et leur façon de brutaliser la colline
et leur façon de l’aimer : à mains nues
jetée nues – données
pour perdues –
dans le bleu contrariant de carrière.
Il faut quand même dire aussi un mot des illustrations de Ena Lindenbaur. Ce sont des figures justement comme points de suture, traits en angle, saccadés, dessinant des espaces où se produire, effaçant aussi parfois des figures par des biffures. Donc un dessin organique et tremblé.
Didier Ayres
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