Le vide notre demeure, Brigitte Gyr (par Didier Ayres)
Le vide notre demeure, Brigitte Gyr, éditions La Rumeur libre, 2017, 77 pages, 15 €
Un éclairage sur la maison d’éditions La Rumeur libre
Signes
Les signes ne pullulent pas dans ce petit recueil. Au contraire ils sont rares et denses, comme le vide en général qui procure un effet d’absorption, de dilatation, comme dirait Michaux, une espèce d’être à envahir. Signes humbles qui ouvrent l’huis de l’intériorité. Ils signalent le vide physique dans lequel se débat la parole poétique. Ils sont en relation avec la maison du néant chère à Heidegger.
La poésie de Brigitte Gyr agit en désignant ce qui manque. En pointant du doigt les bords de la nuit, du jour, des passages, des retenues. On oscille donc très bien dans certains travaux plastiques de Christian Boltanski, où sans doute la lutte la plus âpre reste celle de la mémoire, de la mort qu’il est impossible d’assumer. Et que cela soit une accumulation de paletots ou de drap dans les combles d’un château, le signe ne peut se produire que comme souffle intérieur, voix, nomination des morts.
Il y a donc de l’inconnaissable qui fleurit sur cette réalité, sur cette incertitude fondamentale de l’apparition (et de la disparition).
ils ont dit
ça manque…
ça manque de chiens
ça manque de femmes
les barbelés sont à terre
le monde est un lit triste
un corps gonflé de sang
repose dans la boue
une goutte bleue
sur les fronts
L’Emprise de l’aube, Jean-Pierre Crespel, éditions La Rumeur libre, 2019, 96 pages, 16 €
Pensée exilée
Pensée sans maison
Contrainte à aller
Par les brèches
Dans cette lecture, on voit comment le poète, avant de s’éloigner de son texte, regarde en arrière en recherchant une cohérence ; il faut donc scrupuleusement lire le recueil d’un seul trait comme on le ferait d’un verre d’hydromel. Et si je parle une nouvelle fois de signes, je dirai qu’ici, c’est le silence. C’est l’image blanche. C’est le cri étouffé. C’est l’emprise anxieuse de l’aube. C’est le murmure. Monde silencieux, parole poétique qui s’éteint graduellement mais sans fin. C’est le lien complexe de l’homme à lui-même. Vers une forme de raréfaction.
Qu’est-ce que l’alphabet des foudres ? sinon un alphabet de pierre, du palimpseste du feu ? La langue en tout cas se fabrique avec la foudre, même si parfois le papier reste sous l’emprise d’une angoisse, c’est la foudre dès lors qui ouvre un passage, un chemin vers le poème.
Je cherche l’arbre de Josué
La frontière du désert
Les rivières souterraines et les puits
Cette poésie pauvre en images devient riche justement parce qu’elle s’interdit l’image et fait confiance dans le seul langage. Tout cela n’empêche nullement le poète de chanter, d’œuvrer avec un lyrisme sobre. Cela jugule sans doute la force motrice de la foudre, de l’aube et de la lumière.
J’étais dans la parole
Qui brillait sur mes membres
Palpitait de lumière égarée
Didier Ayres
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