Poète né, Christophe Esnault (par Didier Ayres)
Poète né, Christophe Esnault, éditions Conspiration, juin 2020, 60 pages, 14 €
Quel poète pour quel poème ?
Le dernier recueil de Christophe Esnault cache, sous sa belle couverture bleu métallisé, un ensemble de textes cohérents, variés, dont la lecture est à la fois exigeante, sollicitant les capacités d’ironie des lecteurs, et facile d’accès, car on n’y trouve pas de tentatives lyriques infondées ou faussement motivées. Ce qui frappe le plus, c’est l’ambiguïté, le caractère poreux des parties d’anti-poésie, comme les qualifie l’éditeur, et des passages que l’on aborde comme poème, alternance qui séquence l’ouvrage.
À partir de cette porosité, je crois qu’il faut poursuivre un peu l’analyse. En regardant, par exemple, comment le texte décolle de son propos, pour nous porter auprès d’une révolte, parfois engagée dans une forme de certitude, mais que l’ironie mordante à certains égards vient souligner ou défaire. Je crois que la morale de Diogène de Sinope pourrait très bien être celle du poète.
Pour m’expliquer autrement, je dirais que le lecteur de l’ensemble du livre, lu dans sa continuité notamment, finira par deviner une espèce de dédoublement, un moment où comme liseur on ne sait pas toujours exactement ce que le poète considère et ce qu’il ne considère pas. Antiphrase mordante qui confine à un exercice difficile, qui tient sur une crête. Le poète se moque-t-il simplement de lui ? D’ailleurs, est-ce qu’il se moque ? Et si oui, qui moque-t-il ? On perd la trace du sentiment de l’auteur en en étant malgré tout conscient et convaincu comme lui. C’est donc une alchimie bizarre. Au fond, qui est le poète de ce poème ?
La solution en revient peut-être à lire avec empathie ces quelques lignes :
Être au monde
Sans gesticuler
Grandeur apatride
Elle est la vitre
D’où personne ne regarde
Pour conclure, avec une interrogation, il faut se reporter à la photographie prise de l’écrivain Esnault debout sur un pic rocheux devant un océan romantique, proche du fameux tableau de C. D. Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages. Gausserie encore une fois ? Nostalgie d’un temps où le poème était possible ? Pied-de-nez ? Image d’Épinal ? Sans doute. Et là est la force du livre, cette sorte de spirale, de ruban de Möbius où vacillent les certitudes et les gloires.
Didier Ayres
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