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Roman

La Route de Suwon, Élie Treese (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 13 Juin 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Rivages

La Route de Suwon, Élie Treese, avril 2022, 136 pages, 15 € Edition: Rivages

Écrire « pour ce qui est de Dante, j’emmerde cette vieille taupe, avec sa couronne de laurier et son air de tapir libidineux » (p.66) est au moins irrévérencieux et tient de la mauvaise blague de potache, d’autant plus que, Dante n’étant pas étudié en France dans le secondaire, celui qui tient ce propos n’a pas l’excuse (au demeurant très relative) des mauvais souvenirs scolaires pour justifier sa hargne. On acceptera que c’est un personnage qui prononce cette phrase et qu’au moment où il le fait, à une heure avancée de la nuit (ou du matin), il est copieusement imbibé d’alcools variés, ce qui ne constitue jamais une bonne condition pour exercer l’art de la critique littéraire.

Si l’on devait imaginer un dialogue entre le personnage et l’auteur, sur le modèle de Providence d’Alain Resnais, celui-ci serait fondé à dire que la remarque de celui-là est d’autant plus malvenue que le Florentin lui a fourni, comme à tant d’autres avant lui, une source d’inspiration capitale. En effet, au cours de leur longue beuverie, le personnage et un sien ami en sont venus à empiler les unes sur les autres des pièces de monnaie, de la plus petite en bas à la plus grande en haut, afin de schématiser l’entonnoir renversé que constitue l’enfer du poète italien. Comme dans la Divine Comédie, l’histoire que raconte celui qui « emmerde » Dante tient de la révélation progressive et de la descente vers l’abîme de l’Histoire.

Dénoncez-vous les uns les autres, Benoît Duteurtre (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Vendredi, 10 Juin 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Fayard

Dénoncez-vous les uns les autres, Benoît Duteurtre, février 2022, 198 pages, 18 € Edition: Fayard

Politique de Benoît Duteurtre

Le bel avantage des romans de Benoît Duteurtre, de Tout doit disparaître et Gaieté parisienne (Gallimard, 1992 et 1996) au Retour du Général (Fayard, 2010), comme d’ailleurs de ses chroniques intempestives, de Polémiques aux Dents de la maire, souffrances d’un piéton de Paris (Fayard, 2013 et 2020), c’est qu’ils sont courts, légers, souvent cocasses. Superficiels ? Si l’on veut. Duteurtre, né en 1960, observe notre époque, s’en moque et nous invite à la distance, à la réflexion. Il ne l’analyse pas. Il ne la vitupère pas non plus. Il ne se complaît pas dans sa médiocrité. Le cynisme houellebecquien est absent de ses récits. Il ne l’aime pas, cette époque. Ou il aime ne pas l’aimer. Elle est de toute manière, on le sait, fort peu aimable.

Dénoncez-vous les uns les autres est une sotie. Les gens sérieux diront une dystopie. Duteurtre choisit certains des travers les plus alarmants de l’Occident post-moderne et les exacerbe comme on irrite une plaie. Mais il le fait avec drôlerie, sans lourdeur, sans surplomb moral facile. Aussi aucun de ses personnages n’est-il ridicule ou détestable. Un courant les a emportés, auquel ils tentent de résister ou auquel ils s’abandonnent.

Le Crépuscule du monde, Werner Herzog (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 09 Juin 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue allemande, Séguier

Le Crépuscule du monde, Werner Herzog, avril 2022, trad. allemand, Josie Mély, 144 pages, 18 € Edition: Séguier

 

Amateur de destins hors du commun, réalisateur d’Aguirre ou la colère de Dieu, de Fitzcarraldo et de Kaspar Hauser, Werner Herzog reste à ce jour un des très rares metteurs en scène à avoir menacé un de ses acteurs à l’aide d’un fusil chargé. Que l’acteur en question ait été un personnage aussi antipathique que Klaus Kinski, avec son faciès de gargouille gothique, n’enlève rien à la gravité du geste.

Lors d’un séjour au Japon, on demanda à Herzog qui il souhaiterait rencontrer au Pays du Soleil levant. La réponse du cinéaste désarçonna ses interlocuteurs : Hiroo Onoda. « Qui ? ». En réalité, c’eût été la question d’un Occidental connaissant mal l’Empire. Les Japonais savaient qui était Onoda et lui témoignaient la révérence ambiguë qu’on accorde aux héros d’hier.

Les Wagons rouges, Stig Dagerman (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 09 Juin 2022. , dans Roman, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Pays nordiques

Les Wagons rouges, Stig Dagerman, Ed. Maurice Nadeau, Poche, mai 2022, trad. suédois Gustaf Bjurström, Lucie Albertini, 212 pages, 9,90 €

 

Les Editions Les Lettres Nouvelles (Maurice Nadeau) n’ont pas lésiné sur la qualité de finition des volumes de la Collection de Poche qu’ils viennent de lancer : couverture à l’esthétique attrayante qui constituera la « marque distinctive » de la collection, et papier élégant pour les pages intérieures, à savoir un Fabriano Palatina ivoire 80 gr.

Parmi les premières œuvres que Nadeau réédite dans cette collection prometteuse, figure ce recueil de neuf nouvelles du Suédois Stig Dagerman qui, précise Bjurström dans l’Avertissement, « ont été écrites à des dates différentes mais suffisamment rapprochées, cependant, pour qu’il n’ait pas semblé indispensable d’adapter un ordre strictement chronologique ».

 

1/ Les Wagons rouges

Grand Canyon, Vita Sackville-West (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 08 Juin 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Autrement

Grand Canyon, Vita Sackville-West, mai 2022, trad. anglais (Royaume-Uni) Mathilde Helleu, 296 pages, 21,90 € Edition: Autrement

 

« Tiens, voici un beau roman vibratoire, lis-le, n’en parlons pas, je saurai à ton regard quand tu l’auras lu ». Voilà ce qu’on voudrait dire à une personne aimée en déposant sur une table chez elle l’exemplaire de Grand Canyon dont on vient de tourner la dernière page, ému, touché en un noyau stable au fond de soi, comme à chaque fois qu’on lit un roman de Vita Sackville-West. Mais ce serait un peu court, comme critique – alors qu’au fond elle dirait l’essentiel.

Tâchons donc de nous plier à l’exercice, pour partager Grand Canyon avec tout le monde. La vie de Vita Sackville-West est bien documentée, la vie celle qui inspira Orlando à Virginia Woolf, et fut son Orlanda, que ce soit par ses propres écrits autobiographiques (dont un remarquable et apaisant Journal de mon jardin) ou par sa correspondance, et nul doute qu’on pourrait y trouver la raison de ces romans et nouvelles quasi tous traduits en français, au contraire de sa poésie.