Identification

Roman

Ligne de basse, Patrick Martinez (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 31 Mars 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Alma Editeur

Ligne de basse, Patrick Martinez, mars 2022, 120 pages, 14 € Edition: Alma Editeur

 

« Il entendit, par avance, les quatre accords en boucle qui pourraient introduire la ballade qu’il allait jouer. Il se lança et procéda aussitôt sur ceux-ci à des renversements pour qu’ils sonnent au plus près de ce qu’il voulait faire passer. Dès l’instant où une note lui paraissait comme accroître la noirceur d’un passage, il insistait sur elle, brodait autour et l’épuisait jusqu’à subitement lui en préférer une autre ».

Ligne de basse est le roman d’une famille éparpillée, éclatée, distendue, une famille aux mémoires sombres, aux colères enfouies, aux amours cachés, habitée de doutes permanents, mais aussi d’éclats de tendresse. Le roman d’une mère, d’un frère et d’une sœur, tous les trois saisis par des renversements de vies et d’espoirs, ces mêmes renversements d’accords qui résonnent sous les doigts de Jean, le frère et le fils, musicien de bar de nuit. Patrick Martinez nous offre un roman où se mêlent ces trois destinées, ces trois vies suspendues à l’espoir perdu, à l’argent qui manque, aux amours invisibles. Ligne de basse est aussi le roman de l’enfance de Jean et Lili, où des souvenirs se brodent au fil d’argent sur le tissu de leur vie qui petit à petit prend forme et couleurs, naissance aussi d’un amour entre la sœur et le frère, qui ne dira jamais son nom, et que Lili portera comme une croix.

Paula ou personne, Patrick Lapeyre (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 31 Mars 2022. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Paula ou personne, Patrick Lapeyre, janvier 2022, 411 pages, 22 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Paula ou personne est une histoire d’amour.

A priori, ce thème n’a rien d’original.

Jean Cosmo et Paula se rencontrent parmi les nombreux invités d’un mariage. Jean prend d’abord Paula pour sa sœur Alicia, un « amour d’enfance » datant d’une époque où les deux familles étaient voisines.

Jean est postier, préposé au tri de nuit, depuis qu’il a abandonné ses études de lettres. Paula est l’épouse d’un riche Allemand, souvent absent de Paris pour des raisons professionnelles. Jean est athée, anarchiste, chevelu. Paula est croyante, catholique, elle enseigne l’allemand dans une institution privée et donne par ailleurs des cours de catéchèse pour meubler sa solitude et l’ennui qui pèse sur une vie conjugale uniforme et un environnement social sans relief.

Un balcon en forêt, Julien Gracq (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Mercredi, 30 Mars 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions José Corti

Un balcon en forêt, 230 pages, 19 € . Ecrivain(s): Julien Gracq Edition: Editions José Corti

 

À se fier au titre, on imaginerait une maisonnette ou une grande cabane à l’orée d’un bois ; à toute heure du jour, les planches craquantes suspendues dans le vide seraient un point d’observation privilégié pour vacancier en mal d’aventure, citadin en quête de nature.

Mais n’est-ce pas un peu dans cet état d’esprit que l’aspirant Grange s’installe dans la maison forte des Hautes-Falizes ? De l’autre côté de la frontière belge vers laquelle court la Meuse, la rumeur de l’invasion allemande gronde mais en cet automne doux, qui pourrait croire à l’imminence de la guerre ?

Grange prend donc dans les Flandres ses quartiers – bientôt d’hiver – en même temps que ses habitudes et qu’une maîtresse. Ou c’est plutôt elle, Mona, qui le prend comme amant de même que les trois hommes sous ses ordres, le caporal Olivon, Gourcuff et Hervouët l’adoptent comme chef et le capitaine Varin comme oreille complaisante pour de sombres prédictions.

Liv Maria, Julia Kerninon (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mercredi, 30 Mars 2022. , dans Roman, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Liv Maria, mars 2022, 240 pages, 8,20 € . Ecrivain(s): Julia Kerninon Edition: Folio (Gallimard)

Portrait de femme ; une de plus dans le carquois de Julia Kerninon, son écriture lumineuse, ses récits portés hauts, battant à tous les vents, océans, territoires. Femme encore, à part, mais libre toujours, quel que soit le prix, et l’itinéraire.

Liv, qui signifie « vie » en norvégien, le pays de son père, et Maria, car au pays breton de sa mère, il fallait protéger de la noyade, par le nom de la madone, tout enfant qui naissait. Il était une fois, donc, dans une île, une petite fille… Abandonnée des siens, ou persécutée par l’ogre, comme dans les contes ? Surtout pas, « voulue, appelée à tue-tête » par son père, lecteur d’histoires, qui « lui apprendra à lire », et sa mère, Mado, une héroïne comme dans les livres, qui lui « apprendrait la dureté, le silence ». Une enfance iodée, avec un « corps pour la pêche, pour la nage ». Un jour, à 17 ans, il y eut « l’homme… Liv Maria avait voulu crier, mais sa voix était restée coincée dans sa gorge… ». Ses parents l’envoient à Berlin, par sécurité, dans la famille, pour ses études ; peu de temps après, un accident de voiture fauche ses deux parents ; « plus jamais sa mère, plus jamais son père, plus jamais la vie qu’elle avait avec eux ». Fin (mais on verra que la déclinaison du mot fin chez Liv est particulière) de la première époque.

Le Nain, Pär Lagerqvist (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 29 Mars 2022. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Stock

Le Nain (Dvärgen, 1944), Pär Lagerqvist, trad. suédois, Marguerite Gay, 271 pages, 8,40 € . Ecrivain(s): Pär Lagerqvist Edition: Stock

 

Le Nain est un géant littéraire. Dans un monologue amer jusqu’à la haine nous entendons les vagues de la misère, de la solitude, de la blessure, de la révolte et de la violence dont les hommes sont porteurs. Certes le narrateur est un nain – « une race à part » dit-il – mais c’est évidemment du genre humain que Pär Lagerqvist nous parle. La cour d’un Prince italien de la Renaissance, épiée par le regard assassin du nain-narrateur, devient métaphore d’un monde des hommes où le Mal est à l’œuvre jusqu’au pire. Piccolino, le nain difforme, figure un antéchrist noir comme la nuit la plus noire, une sorte d’inversion parfaite de l’image christique : aucune charité, aucune empathie, pas une once de bonté. C’est un monstre du corps à l’âme.

Lagerqvist décline, tout au long du roman, l’accumulation d’aversions et de haines de Piccolino. Peu à peu, se dessine une figure qui se révèle être le parfait négatif de la figure du Christ et, par là-même, des vertus prônées par le christianisme. A la vérité, le mensonge, à l’amour, la haine, à la paix, la guerre, à la charité, le mépris. Le nain est une condensation des pires pulsions de l’humanité, un personnage porteur de l’ombre de Satan dont il assume pleinement être une créature.