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Roman

Je dansais, Carole Zalberg

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 12 Mai 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset

Je dansais, février 2017, 162 pages, 16 € . Ecrivain(s): Carole Zalberg Edition: Grasset

 

Au XVIème siècle, dans le volume III, chapitre 5 de ses Essais, Montaigne écrivait déjà : « Les femmes n’ont pas tort du tout quand elles refusent les règles de vie qui sont introduites au monde, d’autant que ce sont les hommes qui les ont faites sans elles ». Aujourd’hui, cinq siècles plus tard, ce sont les femmes éduquées qui prennent la plume pour rompre le silence qui entoure la condition des femmes et la recherche d’une réelle émancipation.

Dans son dernier roman, Je dansais, empli de bruit et de fureur où le morbide et la noirceur dominent, Carole Zalberg tente, à travers un récit singulier, de décrypter les ressorts de la violence infligée à des jeunes filles sans défense dans notre pays prétendument « civilisé ». Mais son exploration ne se limite pas à un cas particulier. Elle étend et généralise sa dénonciation à toute la condition féminine en général.

Au départ, l’intrigue s’appuie sur la réalité, mais l’auteur va bien au-delà. À partir d’un fait divers qui pourrait se tailler une part belle sur certaines chaînes de télévision ou dans certains journaux à sensations, Carole Zalberg, par la grâce de l’écriture, confère à son récit une ampleur exemplaire.

Bel et moi, Jacques Perry

Ecrit par Hans Limon , le Vendredi, 12 Mai 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Le Bateau Ivre

Bel et moi, mars 2016, 136 pages, 16 € . Ecrivain(s): Jacques Perry Edition: Le Bateau Ivre

Perry, l’impérissable

Quelque chose de Racine chez Montherlant, disait en substance Gabriel Marcel. Quelque chose de Montherlant chez ce Perry crépusculaire, touchant trio de chair et de lettres où se mêlent souvenirs évanouis, rêves plus grands et plus beaux que nature, fragments d’écrits flambés, désespoirs chenus, clameurs entrecroisées, regrets démentis, simulacres de vie trop envahissants, mensonge et vérité (à moins que ce ne soit l’inverse ?).

Duplicité trouble et ternaire. Drôle de jeu de piste, ivre et torse et tendre, à la mesure d’un Dédale alangui, parfaitement maître de son architecture. Tom-Louis fabrique Bel-Mais de toutes pièces, personnage de pure invention mangeur-de-conscience et pourvoyeur-de-vie-renouvelée qui, en retour, prolonge et recrée Tom-Louis, son père d’encre à défaut de sang, son idole, son envers-tête-grise, l’admire et l’assimile à son être de papier au point de lui prendre ses mots, ses humeurs et son épouse, à la manière d’un fidèle noyé d’enthousiasme qui, au confluent du sacrilège et de l’adoration, se couvrirait des reliques d’un saint révéré dans l’espoir de le faire revivre, ne serait-ce que l’instant d’une fiction, juste avant l’ultime subm(v)ersion.

Dans son regard aux lèvres rouges, Yves Charnet

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 11 Mai 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Le Bateau Ivre

Dans son regard aux lèvres rouges, janvier 2017, 264 pages, 19 € . Ecrivain(s): Yves Charnet Edition: Le Bateau Ivre

 

« Vous étiez le nouvel amour. L’espace s’était de nouveau remis à trembler. Une brûlure bleue ; une lumière balbutiée. Il y avait de nouveau quelque chose dans l’air. Quelque chose d’imperceptible. Je vous avais parlé de cet air bleu sur le fond duquel se découpait, aux yeux de Frédéric, toute la personne de Madame Arnoux. Scène de l’apparition dans L’Education Sentimentale ».

Dans son regard aux lèvres rouges est justement un roman de l’apparition, roman vécu, peut-être une autofiction, sûrement une autofriction, le narrateur est l’auteur, et l’acteur de ce qui se joue là sous ses yeux, sur sa peau et donc dans sa main. Dans son regard aux lèvres rouges ne craint rien de la force de la littérature – qu’on la qualifie comme on le souhaite ! il y risque son corps, il y risque sa phrase, et son style dans ce corps à corps avec Romy B. Il dévoile, se dévoile et dévoile son amoureuse, s’avance et avance la jambe, à l’image des toreros qu’il admire – c’est ainsi qu’il se place, avançant la main et guidant la charge de la corne opposée du toro et de Romy. Il se dit, ma vie doit être libre, joyeuse, mystérieuse, évidente comme le sourire radieux de Romy, mais, car il y a un mais permanent dans ce roman, Romy hésite, ne cesse d’hésiter entre son époux et son amant de la péniche, même lorsqu’elle s’offre c’est en hésitant. Cette hésitation est l’une des tensions du roman.

Charlotte, David Foenkinos

, le Mercredi, 10 Mai 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Folio (Gallimard)

Charlotte, 256 pages, 29 € . Ecrivain(s): David Foenkinos Edition: Folio (Gallimard)

 

Charlotte est le récit de la vie de Charlotte Salomon, artiste peintre, morte à l’âge de 26 ans. Charlotte, c’est l’histoire d’une jeune juive punie par le destin ; c’est l’histoire d’une artiste ingénieuse et terriblement émouvante ; c’est l’histoire de la vie, de la mort, mais c’est aussi l’histoire d’une famille. Une famille dont l’humanité ressort plus que jamais, et que les tragédies successives, suicides ou génocides, viendront assaillir. Ce récit est aussi l’aboutissement d’une obsession, celle d’un auteur fasciné par l’œuvre, la personne, et la vie de Charlotte Salomon.

J’étais sceptique quant à la lecture de Charlotte car son écriture qui « respire », comme le dit l’auteur, m’est apparue, en tant qu’auteur moi-même, comme de la triche. Mais ces paragraphes qui évoquent les strophes d’un long poème sont vites justifiés : ce livre est une œuvre d’art. On s’attache vite aux courtes descriptions de l’auteur, dont l’écriture semble mûrir avec le protagoniste. On lit entre les lignes. Le récit tourne autour de deux sujets qui s’entremêlent tragiquement, l’art et la mort. Charlotte Salomon était prédestinée. Charlotte porte le nom d’une morte et tout le monde meurt, avant et à coté d’elle. La mort est là, jamais très loin. Reste l’attente interminable de savoir comment, à son tour, Charlotte sera soustraite au monde.

Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie

Ecrit par Sana Guessous , le Samedi, 06 Mai 2017. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Gallimard

Americanah, traduit de l’anglais (Nigeria) par Anne Damour 2015, 528 pages, 24,50 € . Ecrivain(s): Chimamanda Ngozi Adichie Edition: Gallimard

 

Humidifier, nourrir, démêler, brosser, aplatir, tirebouchonner, recommencer.

Le matin, se décomposer devant son reflet hirsute. Se demander comment mater l’ennemi capillaire qui s’est dressé dans la nuit. Chercher une façon d’amadouer cette touffe noire en révolution perpétuelle.

Lutter férocement. Dégainer les ciseaux, le fer à lisser, la brosse soufflante, l’huile de coco, le beurre de karité, les prières, les larmes, les incantations.

Capituler. Accepter cette chevelure ironique, qui n’a honte de rien, qui s’assume avec majesté et s’affiche, écumante, au milieu des têtes lisses et sages. C’est ce qu’a fait Ifemelu, l’héroïne nappy d’Americanah. Un personnage de roman qui vit et comprend mes mésaventures capillaires… Ça ne m’était encore jamais arrivé.

Dans la littérature comme sur Instagram, le cheveu est soyeux par définition. Il flotte délicatement autour des visages souriants, les cajole, les nimbe de douceur. Il se laisse brosser et tresser avec grâce.