Un paria des îles est d’abord, comme on dirait d’un tableau, un paysage mais un paysage peu fait pour la vue. Dans la jungle, « l’avalanche de rayons brûlants » à midi ou la pénombre, au-delà du halo des feux allumés la nuit devant les cabanes, aveugle. Au contraire, l’ouïe, accoutumée aux roulements du fleuve, s’aiguise à l’éveil des bruissements nocturnes dans les clairières. Là, on sent feuilles et palmes basses frôler la peau et on goûte, sur les lèvres, le sel de la sueur ou l’amertume des fleurs.
L’auteur se défend pourtant, dans sa note de préface, de tout exotisme. « C’est à coup sûr le plus tropical de mes récits orientaux. Le décor en soi s’est fermement emparé de moi à mesure que j’avançais, peut-être parce que (je peux bien l’avouer) l’histoire ne me tint jamais vraiment à cœur ».
Récit tropical, donc, qu’Un paria des îles, mais récit d’aventures ? Personnages et contexte concourent à celles-ci autant que le décor. Lingard, Almayer et Willems sont des Européens venus tenter fortune sur les mers et les terres malaises. Leurs intérêts entrent en conflit avec ceux des autochtones et des Arabes. Chez tous, des figures respectées, d’autres déchues et celles de l’ombre ainsi que des femmes, liant ou divisant les clans. Le comptoir, fait de baraquements, longe l’appontement du fleuve dont chaque marin rêve de percer les secrets de navigation pour le remonter et exploiter les richesses de la forêt. Au bout du fleuve, un monde inexploré. Bref, tous les ressorts du roman d’aventures…