L’étoile Absinthe, Jacques Stephen Alexis (2ème critique)
L’étoile Absinthe, février 2017, 157 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): Jacques Stephen Alexis Edition: Zulma
« Pour moi, être romancier
c’est plus que faire de l’art,
c’est donner un sens à sa vie ».
(Jacques Stephen Alexis)
Sans doute L’étoile Absinthe n’est-elle pas la meilleure entrée dans le monde de Jacques Stephen Alexis, même si l’œuvre a pris une dimension de mythe, laissée inachevée par son auteur assassiné à 39 ans, en 1961 (fort probablement par les hommes de main à la solde des Duvalier). C’est que l’homme était de ceux pour qui l’œuvre littéraire allait de pair avec l’engagement social et politique. Avec Gérald Bloncourt, il fut l’un des fondateurs du journal La Ruche et l’un des principaux acteurs des « Cinq Glorieuses » de 1946, des journées de révolte qui firent tomber le gouvernement en place. Une vie militante qui l’a mené souvent loin de son île et l’a amené à de singulières rencontres : André Breton, Mao, Khrouchtchev, Hô Chi Min, Che Guevara…
L’étoile Absinthe est peut-être surtout, dans le fragment qui nous en reste, l’histoire d’une tempête prodigieuse. Ayant fui Cuba et la prostitution pour refaire sa vie, la jeune Niña Estrellita aspirant à laisser derrière elle cette identité et cette histoire (racontée par Jacques Stephen Alexis dans L’espace d’un cillement) pour devenir ou redevenir l’Églantine. Pour cela, il lui faut tout réapprendre, de la solitude à la façon de marcher. Mais sa volonté est si puissante, l’urgence est telle qu’elle s’embarque sans tarder dans une expédition à haut risque censée amener un profit à l’échelle du risque encouru.
Embarquée sur un voilier par sa nouvelle compagne, Célie Chéry, elles vont devoir affronter ensemble le plus terrible des ouragans. Un de ces cyclones caribéens qui fera osciller le navire et son équipage entre vie et mort. Une tempête sans pareille, titanesque. Une tempête dont l’écriture vient frapper le lecteur de plein fouet, ne l’épargnant pas plus que l’équipage. Le verbe de Jacques Stephen Alexis nous fait rouler, gîter, perdre tout équilibre, fait nôtre la peur de la mort comme la rage de survivre. Les mots ne racontent plus la tempête : ils sont la tempête même. Ils nous laissent à peine reprendre notre souffle aux côtés de l’Églantine et du mousse Déodat, du capitaine Samuel et de son équipage. Le soleil et l’eau en perdent leurs couleurs, l’on ne sait plus si tout ce que l’on voit, entend, ressent sans avoir le temps de seulement comprendre, est cauchemar, hallucination, ou inhumaine, surhumaine réalité.
Aux vents, aux orages, aux vagues monstrueuses répond le combat de toutes les divinités vaudou et de leurs armées pour un avenir de plus en plus incertain. Un avenir peut-être impossible en dépit de tous les espoirs de quelques pauvres humains.
En découvrant aujourd’hui ce texte resté définitivement en suspens depuis 56 ans, on peut être tenté de l’interpréter à la lumière de l’histoire. Il sera sans doute plus judicieux de se laisser emporter par la force de sa langue, même si nous finissons épuisés, échoués au milieu d’une phrase suspendue par la mort.
L’Églantine s’arrête, se couvre les yeux de la main.
Marc Ossorguine
Où va le roman ? article de Jacques Stephen Alexis publié dans Présence africaine en 1957.
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