A qui pense que la littérature est pur divertissement, qu’il passe son chemin. Manuel Candré, lui, rappelle puissamment qu’elle est déplacement et condensation, création d’univers inconnus du lecteur, et surtout écriture, harcèlement de la langue, questionnement obsessionnel du sens. Des Voix met les points sur les i de l’acte de parole, comme les kabbalistes l’ont fait jusqu’à la folie, convaincus que toute vérité est dans la lettre.
Qui parle ? Qui harcèle le narrateur, maladivement allongé sur son lit, dans une pièce miteuse probablement située dans l’arrière-salle d’une synagogue de Pragol (la Vieille-Nouvelle* dans une Prague fantasmée ?), pendant la première partie du livre ? D’où viennent ces voix qui le prennent d’assaut par flux, par flots ? Du ciel ? De l’Enfer ? Candré couvre d’un épais mystère le phénomène. Il laisse son lecteur devant son désarroi pour mieux l’obliger à se poser la seule question qui vaille : la parole, pas plus que l’écriture, n’est chargée de signifiés. Ce livre ne raconte pas d’histoire. La langue est faite de signifiants-en-soi et, un signifiant, ne renvoie qu’à lui-même disait Jacques Lacan. Manuel Candré l’a parfaitement saisi, qui va même jusqu’à faire des Voix des animalcules, des petits personnages absurdes. Elles sont autonomes, elles vivent, elles entourent le narrateur, tour à tour le martyrisent ou le consolent.