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Roman

Robinson Crusoé, Daniel Defoe en la Pléiade (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 07 Février 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, La Pléiade Gallimard

Robinson Crusoé, novembre 2018, 1040 pages, 47 € jusqu’au 30 juin 2019 . Ecrivain(s): Daniel Defoe Edition: La Pléiade Gallimard

 

« Déjà une terrible tempête mugissait, et je commençais à voir la stupéfaction et la terreur sur le visage des matelots eux-mêmes. Quoique vaillant sans relâche à la conservation du vaisseau, comme il entrait ou sortait de sa cabine, et passait près de moi, j’entendis plusieurs fois le capitaine proférer tout bas ces paroles et d’autres semblables : Seigneur, ayez pitié de nous ! Nous sommes tous perdus, nous sommes tous morts !… ».

Près de soixante ans séparent cette nouvelle édition de Robinson Crusoé (enrichie des gravures de Dumoulin), de celle publiée par la Bibliothèque de la Pléiade sous la direction de Francis Ledoux en juin 1959, il s’agissait du 138ème livre de cette collection unique. Cette bibliothèque française n’a jamais aussi bien porté son nom, que lorsqu’elle s’attache à publier les orfèvres de la langue et de l’aventure littéraire. Daniel Defoe est l’un de ces témoins de la grandeur d’une langue, et Pétrus Borel (1809-1859) son éblouissant traducteur : Il en appelle à une langue « pure, souple, conteuse et naïve. Seuls lui importent le style qui, plus que tout, traduit un écrivain ainsi que certaines formes orthographiques » (Jean-Luc Steinmetz).

Des Voix, Manuel Candré (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 06 Février 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Quidam Editeur

Des Voix, février 2019, 209 pages, 20 € . Ecrivain(s): Manuel Candré Edition: Quidam Editeur

A qui pense que la littérature est pur divertissement, qu’il passe son chemin. Manuel Candré, lui, rappelle puissamment qu’elle est déplacement et condensation, création d’univers inconnus du lecteur, et surtout écriture, harcèlement de la langue, questionnement obsessionnel du sens. Des Voix met les points sur les i de l’acte de parole, comme les kabbalistes l’ont fait jusqu’à la folie, convaincus que toute vérité est dans la lettre.

Qui parle ? Qui harcèle le narrateur, maladivement allongé sur son lit, dans une pièce miteuse probablement située dans l’arrière-salle d’une synagogue de Pragol (la Vieille-Nouvelle* dans une Prague fantasmée ?), pendant la première partie du livre ? D’où viennent ces voix qui le prennent d’assaut par flux, par flots ? Du ciel ? De l’Enfer ? Candré couvre d’un épais mystère le phénomène. Il laisse son lecteur devant son désarroi pour mieux l’obliger à se poser la seule question qui vaille : la parole, pas plus que l’écriture, n’est chargée de signifiés. Ce livre ne raconte pas d’histoire. La langue est faite de signifiants-en-soi et, un signifiant, ne renvoie qu’à lui-même disait Jacques Lacan. Manuel Candré l’a parfaitement saisi, qui va même jusqu’à faire des Voix des animalcules, des petits personnages absurdes. Elles sont autonomes, elles vivent, elles entourent le narrateur, tour à tour le martyrisent ou le consolent.

Les Immémoriaux, Victor Segalen (par Marianne Braux)

Ecrit par Marianne Braux , le Mercredi, 06 Février 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Le Livre de Poche

Les Immémoriaux, 316 p. 5,60 € . Ecrivain(s): Victor Segalen Edition: Mercure de France

 

 

Tahiti, aux premiers temps de la colonisation. Térii, jeune récitant de la communauté maorie, est victime d’un trou de mémoire lors d’une récitation rituelle des « beaux parlers originels où s’enferment, assurent les maîtres, l’éclosion des mondes, la naissance des étoiles, le façonnage des vivants ». Dans ce trou de mémoire sacrilège, Térii perçoit aussitôt un mauvais présage : la disparition de la civilisation indigène, dont le lecteur suivra le déclin tout au long du roman, depuis l’arrivée des premiers britanniques jusqu’à l’évangélisation du peuple maori, cristallisé dans la métamorphose de Térii. Celui-ci, après des années d’exil dans les îles de l’archipel polynésien à la recherche de la Terre Originelle, finira par s’en retourner chez lui et par prendre le nom de Iakoba avant de devenir diacre, reniant ainsi définitivement ses origines.

Shiloh, Shelby Foote (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 05 Février 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Rivages

Shiloh, traduit de l'américain par Olivier Deparis, février 2019, 200 p. 20 € . Ecrivain(s): Shelby Foote Edition: Rivages

Shiloh est comme un écho en avance, une préfiguration, du grand œuvre que Shelby Foote écrira entre 1958 et 1974, « La Guerre Civile : une histoire », gigantesque entreprise de 3000 pages, en 3 tomes, qui fait aujourd’hui référence aux USA sur cette période dramatique de leur histoire. Une sorte de pont avancé – ce roman date de 1954 - qui fait charnière dans l’œuvre de Shelby Foote entre sa vocation littéraire et sa passion historique. Mais Shiloh est absolument un roman. Il prend les événements de l’histoire (la bataille de Shiloh en avril 1862) et en fait une fiction. Le travail de l’écrivain consiste à trouver les voix – celles des soldats imaginaires des deux camps qui vont scander l’horreur de ces deux journées – et les transposer en récit dont la pâte est intimement pétrie de l’histoire et de la fiction.

Autant commencer par là, Shiloh est un chef-d’œuvre bouleversant, une symphonie funèbre aux hommes martyrisés, déchiquetés, réduits à des corps de souffrance et de mort par une guerre dont l’absurdité et la violence les dépassent totalement, même s’ils croient en la justesse de leur cause. C’est d’ailleurs là, probablement, le pire : ces hommes sont, d’un côté comme de l’autre, la plupart du temps convaincus du bien-fondé de leur cause. La sauvagerie des combats, l’absurdité stratégique de cette bataille en particulier, sont nourris de cet enthousiasme !

Le Monde des hommes, Pramoedya Ananta Toer (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Mardi, 05 Février 2019. , dans Roman, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Zulma

Le Monde des hommes, octobre 2018, trad. indonésien Dominique Vitalyos, 528 pages. 10,50 € . Ecrivain(s): Pramoedya Ananta Toer Edition: Zulma

 

La littérature de Java, l’île lointaine.

Dans une époque qui privilégie le court, la rapidité et l’injonction d’être bref, il y a un plaisir indéniable à se plonger dans un œuvre longue et qui impose sa lenteur. Il existe de ces ouvrages de longue haleine et qui ont en eux un « souffle », comme l’on dit. C’est le cas du récit de Pramoedya Ananta Toer, Le Monde des hommes, paru aux éditions Zulma. L’ouvrage est le premier tome d’une somme romanesque Buru Quartet paru initialement en 1980 et qui avait déjà connu une première traduction en français. Les éditions Zulma proposent une traduction renouvelée de D. Vitalyos.

Pramoedya Ananta Toer, dit Pram (1925-2006) est l’écrivain majeur de l’Indonésie dont la renommée est trop confidentielle en France. Il a subi une persécution en raison de son engagement par les autorités coloniales néerlandaises et ensuite lorsque Sukarno et Suharto furent au pouvoir. Il a été emprisonné près de dix-sept années. Et l’on a souvent parlé de lui comme un nobélisable, tant son œuvre monumentale atteint une forme d’universalité.