Ceux que nous avons abandonnés, Stuart Neville (par Christelle Brocard)
Ceux que nous avons abandonnés, avril 2019, trad. Fabienne Duvigneau, 370 pages, 22,50 €
Ecrivain(s): Stuart Neville Edition: Rivages/noir
En l’absence de sa femme et de son fils, M. Rolston a été sauvagement assassiné dans sa demeure. Les soupçons se tournent immédiatement vers les frères Devine, deux jeunes orphelins hébergés par la famille Rolston, que la police retrouve prostrés, couverts du sang de la victime.
Ciaran, le plus jeune de deux prévenus, ne tarde pas à passer aux aveux. Bien qu’il soit difficilement concevable qu’un gosse de douze ans puisse être l’auteur d’un crime si effroyable, rien ne permet de mettre en doute sa culpabilité. Il est dès lors incarcéré dans un établissement pénitentiaire pour mineurs et n’en ressortira qu’après avoir purgé une peine de sept ans. Son frère, Thomas, condamné, lui, pour complicité de meurtre, est relaxé deux ans plus tôt. Le jour de sa libération, Ciaran est confié aux soins d’une conseillère de probation, Paula Cunningham, qui se serait bien passée de cette mission d’une nature doublement délicate.
En premier lieu, la personnalité meurtrie et tourmentée du jeune homme ravive le malaise qui avait entouré l’inculpation d’un mineur, dont le mobile, peu convaincant, avait néanmoins été retenu. Il lui faut par ailleurs affronter le tollé médiatique que suscite évidemment la mise en liberté de cet illustre criminel. Ses rapports privilégiés avec l’intéressé l’amèneront à rencontrer Serena Flanagan, l’inspectrice en chef qui avait recueilli les aveux du jeune garçon, et à tirer du passé, bien malgré elle, les ficelles d’une affaire éminemment sordide.
Ce roman noir, très noir, navigue dans les circonvolutions cérébrales et cauchemardesques de deux frères inextricablement enchaînés l’un à l’autre. Pour donner le change à ce duo infernal et tenter de percer le mystère de cette loyauté fraternelle indéfectible, l’auteur a choisi de mettre en scène deux héroïnes au caractère bien trempé, lesquelles ne sont pas pour autant épargnées par les revers et les incertitudes personnelles : l’une est portée sur la bouteille et supporte difficilement sa solitude, l’autre se remet tout juste d’un cancer du sein et continue d’en subir les dommages collatéraux. Leur faillibilité humaine répond en miroir à l’animalité instinctive des deux frères criminels.
L’écriture est agréable et nécessairement très alerte pour que jamais ne se relâche la tension dramatique qui va crescendo au fil des pages. L’insertion de nombreux dialogues dynamise le récit que le lecteur, tiraillé entre l’envie irrépressible d’en connaître le dénouement et la force tétanisante de certains passages, dévorera frénétiquement. A condition, donc, de supporter l’atmosphère anxiogène et parfois très malsaine dans laquelle baigne l’histoire, on appréciera très certainement Ceux que nous avons abandonnés, dont l’intrigue est indéniablement efficace. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant que ce roman, traduit par Fabienne Duvigneau, soit prochainement porté à l’écran.
Christelle d’Hérart-Brocard
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