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Poésie

Eloignez-vous de ma fenêtre, Vénus Khoury-Ghata (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Vendredi, 25 Juin 2021. , dans Poésie, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Mercure de France

Eloignez-vous de ma fenêtre, Vénus Khoury-Ghata, juin 2021, 128 pages, 14,50 € Edition: Mercure de France

Modeste à se sentir « fissure pour engouffrer le peu », Vénus Khoury-Ghata, plume majeure de notre poésie et aussi romancière, vit de précipités minéraux à se poser la question de la solitude ou de l’écartement : « Eloignez-vous de ma fenêtre/ ne revenez qu’après la fermeture définitive de la planète/ quand mes os seront de pierre sèche/ mes gestes de vents retenus ». C’est que la présence des disparus peut être tenace : « il faut être très mort pour ne pas revenir ». Les dédicaces en disent long pour savoir qu’il ne s’agit pas d’un enfermement mais d’une sorte de pause d’incompréhension où les mots creusent le sol, les arbres, les passants interrogés, le lecteur sans doute également.

La vie semble étrangement se passer par contumace et très à l’étroit dans l’étriquement des mots resserrés comme autant d’interpellations à tenter l’impossible écoute : « Ecoute/ écoute le terreau au-dessus de ta tête/ suis les dédales de l’obscurité pour ne pas t’égarer ». La vie, bonne conseillère donc, essaie de trouver la faille à tenter l’impossible : « on vit de ce qui ne peut mourir dit la vieille qui plume la volaille/ sur le seuil de la cuisine/ et elle s’essuie le visage avec un pan de son tablier maculé de sang ». L’idée de l’auteur est scénique d’autant qu’elle manie une poésie à la limite de la prose.

Ainsi parlait, W. B. Yeats (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mercredi, 23 Juin 2021. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Ainsi parlait, W. B. Yeats, éditions Arfuyen, avril 2021, trad. anglais Marie-France de Palacio, 176 pages, 14 €

 

Exploration

J’ai été frappé par ce « ainsi parlait » du poète irlandais et prix Nobel de littérature, W. B. Yeats, car ce que relatent ses dits et maximes recoupe tout à fait des préoccupations qui me traversent. En effet la quête spirituelle de tout lecteur, de tout créateur aussi, en passe par cette aporie : figurer une abstraction dans des termes concrets, contenir dieu dans un langage qui par essence se prête à tout, alors que la divinité est seulement hauteur. Donc appuyer une recherche métaphysique sur la physique du langage, les règles de la prosodie. Et Yeats y arrive et contribue à donner de l’espoir pour ceux qui cherchent cette exploration du domaine de l’esprit.

Cependant, nous n’assistons pas à une opposition du profane et du sacré, mais à leur mélange : L’homme sous la lumière et Dieu, la tension terrestre sous la vivacité de l’existence céleste, activité poétique se distinguant de la pensée matérialiste. Donc, le chant, la psalmodie, la musique du poème.

L’Iris sauvage, Louise Glück (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 21 Juin 2021. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Gallimard

L’Iris sauvage, Louise Glück, mars 2021, trad. anglais (USA), Marie Olivier, 160 pages, 17 €

 

Un prix Nobel glauquissime. Un traité de désespérance ?

Un Glück glauque, à se flinguer. Un livre du temps du Covid. Woolf revisitée.

L’Iris sauvage signe la responsabilité d’un dieu absent dans le naufrage humain. A force de plantes, dans un jardin souillé, entre aubépines et coréopsis, l’âme est bien sauvage, plaintive, inutile, sans place sans dieu, sans référent. Le jardin symbolique est poussif et la douleur là derrière la porte du vivre.

Glauque, inutile, l’âme ? Glück en est persuadée, avec sa froideur entomologique, sa désespérance de petite vieille qui scrute le ciel sans ciel, le jardin sans âme, et sa pauvre vie.

On dévide l’absurde ruban de l’existence sans existence, cloué dans un jardin, on n’ouvre pas les portes, on s’inhume avant que de naître.

Sous les chapes grues, Jos Garnier (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 21 Juin 2021. , dans Poésie, Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Sous les chapes grues, Jos Garnier, éditions Milagro, février 2021, 48 pages, 10 €

 

Matière

Écrire quelques mots sur le livre de Jos Garnier me permet d’évoquer une chose qui m’intéresse, comme tout le monde je crois : ce qui est hors de soi et ce qui est intérieur. Ce matin, d’ailleurs, j’ai songé pour figurer physiquement ce que j’ai ressenti, à mon rêve de pèlerinage musulman tournant autour de la Kaaba (الكَعْبة) en dehors de toutes choses religieuses, juste pour le carré parfait où se trouve une pierre noire. Car cette façon de dresser devant le lecteur une sorte de mur graphique très énigmatique, textes sans majuscule ni ponctuation, finit par donner une impression presque insurmontable. Il y a autant de mystère que celui qui hante depuis tant de temps les figures de pierre qui se dressent sur l’Île de Pâques.

Il m’a semblé que ces poèmes (?) faisaient office d’endroit pierreux, dur, impénétrable. C’est pour cela que j’ai pensé au in et au out. Car devant ce peuple étrange des îles chiliennes, on balance presque dans l’inquiétude, car la limitation de ces statues, ici de ces poèmes, offre un champ profond d’investigations intellectuelles.

Hautes Huttes, Gérard Pfister (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 18 Juin 2021. , dans Poésie, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Arfuyen

Hautes Huttes, juin 2021, 384 pages, 19,50 € . Ecrivain(s): Gérard Pfister Edition: Arfuyen

 

« – Ouvre l’œil –

dit la voix

laisse venir l’inconnu

de quoi aurais-tu peur » (393)

 

Puisque la poésie de ce recueil est ambitieuse (comme une parole de conversion à la véritable présence), ample (mille denses poèmes, organisés – comme le livre précédent de l’auteur – en dix « centuries » de quatre vers, cohérentes et dynamiques) et profonde (le temps, le silence, la lumière, l’espace, la mort, l’apparence, le hasard… ne sont pas là pour faire valoir leurs jolis mots, mais une voix franche et pressante tente, en déduisant leurs jeux les uns des autres, de nous les faire voir mieux – plus nativement, plus sérieusement, plus complètement, et d’abord plus admirativement !), le commentateur dit ce qu’il a compris, mais laisse trouver aux lecteurs leur clé de cette aventure.