Ouvrière durée, Gilles Lades (par Didier Ayres)
Ouvrière durée, Gilles Lades, éditions Le Silence qui roule, avril 2021, 104 pages, 15 €
Le poème-paysage
Dès les premiers vers du recueil Ouvrière durée, l’on est pris par l’attention que porte le poète à son pays. Je dirais même que l’on y trouve le goût d’une espèce de road-movie à la française, devenant ici un road-poetry. Cette durée notamment signifie la patience qu’il faut avoir pour vagabonder dans les collines et les bois d’un pays que j’ai identifié comme un paysage du Lot. Vagabonder ne voulant pas dire paresse, mais au contraire travail au-dedans du poète en ses images, en son répertoire, en sa vision et son chant (champs devenant contrechamp du poème). Oui, un herbier, mais composé de plantes et de végétaux simples, abordables, pas exotiques, ceux d’une terre sobre et laborieuse. Car il s’agit tout à fait de l’habitation du poète, de celui qui veut habiter le monde en poète.
Cette durée bergsonienne, celle du sucre qui se défait lentement de sa compacité pour infuser dans un liquide, prend, sature, infuse justement la durée du labeur du poète. Écrire le paysage, c’est abandonner son temps pour le temps primordial du poème, de la naissance du texte au milieu d’une colline et de sa fin dans le livre. C’est une question d’infusion.
la marche inquiète
se fait un royaume
des champs secrets de la forêt
elle s’arrache aux arbres comme un poème
aux bribes d’un brouillon
l’invincible été de quelque fin d’automne
frémit d’intimes peupleraies
rejoint les fulgurances gaies de la haute enfance
conjure ce néant que nous ramenons à la nuit
des esplanades désertées
Arrière-pays qui est arrière-fond. Un pays donc qui ne se perd pas en futilités mais au contraire continue de s’articuler sur de grands universaux : la langue, les mots du poème, le temps et ses durées diverses, la mort, la solitude. Pour nous aider à cheminer dans la page comme au milieu d’une balade – ballade – au gré des saisons parfois, au sein d’un pays, au sein d’un poème-paysage. Le seul secret que ne perce pas l’auteur, c’est ce qui le guide dans sa demeure, comme ne sait pas l’oiseau où le conduit la mystique franciscaine.
Cette position devant la langue m’a fait songer que, peut-être, ce livre pourrait se rattacher des travaux poétiques de Gérard Bocholier ou de Jean Maison, les rattachant à une même école – qui resterait à définir. En tout cas, un chemin commun vers une expression sobre, capable de dire beaucoup des différents pays – le Lot de Lades, l’Auvergne pour Bocholier et la Corrèze pour Maison.
tu étais attentif au doux fracas des âmes en travail
tu scrutais tout visage
en muette découverte
tu devinais la force empêchée d’être
tu faisais provision d’évidence
au moment de partir dans le silence
jamais tu ne laisserais sans réponse
l’appel du chèvrefeuille
Il faut donc comprendre que la poésie est un travail qui ne s’arrête pas à la page, mais se poursuit à chaque instant, dans de petits détails, des signes faibles, des notules du réel venant frapper la création poétique, souvent longtemps après la vision, le chant des choses avec lequel il faut faire liaison, lien vital avec les éléments telluriques, orphiques et géographiques.
Didier Ayres
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