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Les Livres

Jaune, Histoire d'une couleur, Michel Pastoureau (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando , le Jeudi, 23 Janvier 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Arts, Seuil, Histoire

Jaune, Histoire d'une couleur, octobre 2019, 238 pages, 39 € . Ecrivain(s): Michel Pastoureau Edition: Seuil

Quel courage a eu Michel Pastoureau en s’attachant à réaliser un livre entier sur la couleur jaune, qui ne recueille l’ensemble des suffrages ni dans l’histoire ni autour du monde. Pourtant, la couleur jaune avait ses lettres de noblesse dans l’Antiquité : les Grecs, les Romains, les Celtes et les Germains lui accordaient une haute importance symbolique et religieuse, en l’associant à la lumière, à l’or et à l’immortalité. C’est le Moyen Âge qui témoigne de son déclin, ou plutôt de son ambivalence. Michel Pastoureau étudie la lente décroissance de la valeur accordée à la couleur jaune au fil du temps, mais aussi ses rapports avec les autres couleurs auxquelles elle est liée (l’ocre, le vert, l’orangé, le gris et le rose) et les objets qu’elle représente symboliquement.

Depuis les pigments ocres du Paléolithique supérieur et le métal jaune (l’or) du Néolithique et de la Rome antique (monnaie, objets précieux retrouvés dans les tombes…), la préhistoire, l’Antiquité et la mythologie accordent à la couleur jaune un effet bénéfique : la Toison d’or de Jason, les richesses du roi Midas, les pommes d’or du jardin des Hespérides lui sont associées. Les cultes solaires (Rê, Hélios, Artémis, Apollon) magnifient le jaune et lui rendent hommage, ainsi que, plus prosaïquement, le safran, épice rare employée en cuisine, mais aussi en médecine, en parfumerie et en teinture. L’étoffe jaune est la parure d’Artémis et des femmes.

Lake Success, Gary Shteyngart (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 22 Janvier 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, L'Olivier (Seuil)

Lake Success, Traduit de l’américain par Stéphane Roques. 380 p. 24 € . Ecrivain(s): Gary Shteyngart Edition: L'Olivier (Seuil)

 

Peut-on quitter Manhattan ? Peut-on sortir de ses tours, de ses rues, de ses appartements à 5 millions de dollars (au moins nous dit Gary Shteyngart – pour compter vraiment), de ses millionnaires spéculateurs hallucinés dont le cerveau est imprégné de chiffres, de courbes, de hausses et de gouffres boursiers ? Manhattan est n’est pas un quartier de NYC, c’est un « dedans » halluciné et hallucinant. Hors de Manhattan, il y a le « dehors », c’est-à-dire le monde réel, avec sa crasse, ses pauvres, sa boue. Le héros de ce roman est fasciné par le dedans-dehors. Il l’enseigne même à son jeune fils autiste, comme une leçon fondamentale :

« Avant le diagnostic, Barry s’allongeait à côté de son fils quand il avait peur du tonnerre et des éclairs et lui disait : « Tout va bien, Shiva. Parce que le tonnerre gronde dehors. Dedans, tu es à l’abri avec maman et papa. Tu comprends la différence ? Dehors et dedans. »

Le dernier hiver du Cid, Jérôme Garcin (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mercredi, 22 Janvier 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

. Ecrivain(s): Jérôme Garcin Edition: Gallimard

 

D’août à novembre 1959, les derniers mois de vie d’un acteur adulé par sa génération : Gérard Philipe. Il avait tous les talents, la beauté, les atouts de la jeunesse, ceux flamboyants du théâtre, ceux plus populaires du cinéma. Entre 1947 et 1959, il fut sans doute l’un des plus grands comédiens français.

Jérôme Garcin, son beau-fils, relate les ultimes séquences d’une vie menée tambour battant, entre les studios de Boulogne et les théâtres parisiens, le Festival d’Avignon et la troupe du TNP de Jean Vilar. Cet amoureux de la vie familiale, discrète, passée à Ramatuelle ou rue de Tournon, épousa en 1951 Nicole Navaux, dite Fourcade, devenue Anne Philipe en littérature, Belge. Ils eurent deux enfants, Anne-Marie et Olivier.

Les dernières années ont été riches en créations diverses (que de films : La meilleure part ; Pot Bouille ; Montparnasse 19 ; Le joueur ; Les liaisons dangereuses…), et l’acteur est plein de projets quand la maladie s’insinue dans le parcours de ce comédien boulimique d’expériences. Et l’hôpital. Et l’inquiétude. Et les doutes.

Warum, Pierre Bourgeade (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Mercredi, 22 Janvier 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Tristram

Warum, Pierre Bourgeade, janvier 2020, 242 pages, 19,90 € Edition: Tristram

 

Fin d’été

Il fut un temps où Pierre, le héros de Warum, semblable et frère de son auteur, ne se contentait pas de rêver les femmes. Il se les calait douces, les enfilait comme se passe un pull en hiver pour se réchauffer. Il avait les épaules larges, elles y cherchaient un creux et certaines pensent encore à lui. Car ils ont fait des fêtes et ont dû swinguer du valseur avec lui sur le She loves you des Beatles.

Mais néanmoins lentement cœur se fendille, corps se fume. Reste à savoir où commence l’indifférence ou si l’on préfère comment meurent les amours. « Qui s’exprime lorsque le corps ne répond plus ? » avoua Bourgeade à une de ses dernières égéries. Et c’est à cette réponse que Warum fait écho dans son aspect road-movie en hommage à La Femme au nom d’une voire de plusieurs d’entre elles.

Ligne de fond, Werner Lambersy / Philippe Bouret (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 22 Janvier 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Ligne de fond, Werner Lambersy / Philippe Bouret, La rumeur libre Éditions, 2019

 

Dans le domaine de la pêche, la locution « ligne de fond » désigne une ligne non équipée d’un flotteur, reposant au fond de l’eau et munie de différents fils de petite taille équipés d’hameçons. La ligne de fond renvoie à une ligne dite « dormante », à la différence d’une ligne dite « flottante ». La poésie expérimentée par Werner Lambersy ne serait-elle pas analogue à cette méthode de pêche pratiquée à l’aide d’un appât reposant sur le fond de l’eau ? Un proverbe du XIVe siècle nous prévenait qu’« il n’est pire eau que celle qui dort », (parangon de notre proverbe actuel : « il faut se méfier de l’eau qui dort »). Continuons et allons plus loin : faire bouger les lignes de notre réalité, au mieux du réel, ne serait-ce pas l’objet de l’entreprise poétique appréhendant ce dernier par le biais d’un appât semblable à celui de la ligne de fond ? La poésie ne serait-elle pas cette méthode de pêche analogue à la ligne de fond sans flotteur, qui repose au fond de l’eau, exercée de distance en distance à l’aide d’un fil court supportant des hameçons (dans le cas du langage poétique : dotée, de distance en distance dans le champ complexe du réel, d’un art du condensé suggestif riche d’une multitude de prises amorcées sur le vivant, sur la réalité) ?