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Les Livres

Le Grand Meaulnes, Alain-Fournier en la Pléiade (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mercredi, 24 Juin 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Le Grand Meaulnes suivi de Choix de lettres, de documents et d’esquisses, Alain-Fournier, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, mars 2020, 640 pages, 42 € (prix de lancement jusqu’au 31 août 2020)

 

Le Grand Meaulnes, déjà lu ? Allez en Sologne pour le relire. Dans un champ de coquelicots, voyez ce papillon qui s’approche, s’éloigne aussitôt. Lisant Le Grand Meaulnes, les questions qui sont venues à l’esprit du poète Jaccottet nous viennent au cœur : « Et si [les pétales du coquelicot] étaient des morceaux d’air tissé de rouge, révélé par une goutte de substance rouge, de l’air en fête ? ». Les papillons « tout en ailes, presque sans corps, tout juste là pour montrer la lumière, la couleur », ne sont-ils pas plutôt « des morceaux de vent colorés » ?

Remarquable édition dans la Pléiade, qui fera date, de l’œuvre unique d’Alain-Fournier, accompagnée de lettres et de documents permettant « de suivre chronologiquement [une] double histoire, celle d’une passion amoureuse [vécue par l’auteur] au sillage jamais refermé, et celle de la genèse du roman, de 1904 – avant la [R]encontre – à 1913 – année de publication du Grand Meaulnes ».

Le brigand bien-aimé, Eudora Welty (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 23 Juin 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Points

Le brigand bien-aimé (The Robber Bridegroom, 1942), Eudora Welty, trad. américain, Sophie Mayoux, 139 pages, 7,20 € Edition: Points

Parmi la belle floraison de plumes que le Sud nous a fait la joie de produire, les femmes occupent une place que bien d’autres régions littéraires du monde pourraient envier. Avec Carson McCullers, Flannery O’Connor, Kate Chopin, Zora Neale Hurston, Margaret Mitchell, le Delta étincelle de brillantes auteures. Eudora Welty en est l’une des plus éminentes, formidable chroniqueuse du Sud, de ses contes et légendes, de ses paysages, de ses gens. Bourgeois créoles ou pauvres blancs, Noirs écrasés par leur misère, débiles consanguins, prêcheurs fous. On retrouve dans son œuvre une faune familière aux lecteurs de Flannery O’Connor, mais sur un mode très différent, plus distancié, plus observateur.

Le thème du brigand bien-aimé est récurrent dans l’imaginaire américain et dominé par la figure de personnages souvent peu recommandables. Jesse James en est devenu le représentant le plus connu – probablement grâce au film d’Henry King en 1939 – et pourtant James était un voleur de grand chemin, un tueur redoutable. On peut y ajouter Billy Le Kid, encore plus violent et sanguinaire. Eudora Welty bâtit son conte autour de Jamie Lockhart, personnage imaginé par elle et qui est probablement la combinaison de plusieurs personnages réels de bandits plus ou moins populaires dans le Sud, autour de Natchez, Mississippi.

Bartleby le scribe, Herman Melville (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mardi, 23 Juin 2020. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Bartleby le scribe, Herman Melville, éditions Libertalia, mai 2020, nouvelle trad., Noëlle de Chambrun, Tancrède Ramonet, 88 pages, 5 €


La formule de Bartleby, j’aime autant ne pas en parler. Pourtant il le faut, et d’abord pour discuter de cette traduction du célèbre I would prefer not to, par « j’aime autant ne pas ». « Oh, aimer autant ? Oui – étrange formule » remarque Ladinde, voisin de bureau de Bartleby. Le conditionnel, qui était rendu littéralement par « je préférerais ne pas » dans la suggestion de Maurice Blanchot, disparaît dans cette traduction. Aimer autant insiste davantage sur l’indifférence de Bartleby : bien que la réponse du scribe soit invariable, formulée ainsi, elle surgit à chaque occurrence comme le résultat d’une réflexion silencieuse au cours de laquelle Bartleby pèse sur la balance de sa volonté l’intérêt qu’il tirerait de l’action proposée.

Labyrinthe, Burhan Sönmez (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 22 Juin 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Roman, Gallimard

Labyrinthe, mars 2020, trad. turc, Julien Lapeyre de Cabanes, 218 pages, 20 € . Ecrivain(s): Burhan Sönmez Edition: Gallimard

 

Né en 1965, Burhan Sönmez est une des plumes les plus importantes et les plus singulières de la littérature turque contemporaine. Ses deux premiers romans sont pour le moment (honte à nous) inédits en français. Le troisième avait été traduit en 2018, son titre Maudit soit l’espoir constituant une « belle infidèle » (en turc, le roman s’intitulait simplement Istanbul Istanbul).

Le titre de ce quatrième roman, Labirent, a été traduit fidèlement. Le labyrinthe en question est, d’une part, celui des rues d’Istanbul, mégapole à cheval sur deux continents, où l’on peut déambuler à l’infini, de jour comme de nuit. Ce n’est pas la vision sinistre de l’Istanbul souterrain et carcéral, décrit dans Maudit soit l’espoir, mais une ville chaleureuse, où l’on s’amuse, consomme de l’alcool et où de belles jeunes femmes laissent librement flotter leurs cheveux aux terrasses des cafés. Comme dans le roman précédent, Istanbul, avec ses foules, ses vendeurs ambulants, ses vapur, ses mouettes, est quasiment un personnage à part entière. D’autre part, le labyrinthe est une métaphore de la mémoire et de l’oubli.

Conservez comme vous aimez, Martine Roffinella (par Jean-Paul Gavard-Perret)

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret , le Lundi, 22 Juin 2020. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

Conservez comme vous aimez, Martine Roffinella, Ed. François Bourin, février 2020, 120 pages, 16 €

Martine Roffinella : vie mode d’emploi

Pour recenser les lueurs claires et sombres de l’existence dans le monde tel qu’il est, Martine Roffinella les met en récit. Ici à travers son héroïne, Sibylle, qui fut une reine du marketing avant d’être supplantée par une louve aux dents aussi impeccables que blanches.

Cet esprit de résistance est chevillé à sa Sibylle jusqu’à son acte de malveillance que le lecteur découvrira, et ce, jusqu’à ce que la perspective de la mort devienne sympathique. Si bien que la créatrice cultive par la fiction ses obsessions et ses errances jusqu’à les pousser où elle ne se permettrait pas d’aller. Placardisée, atteinte de tics et de tocs elle va commettre l’irréparable.

L’approche est singulière – quoique chargée de termes anglais qui – quoique pour faire vrai – finissent par fatiguer. Mais c’est une manière de réinventer et de recharger le réel de la société de manière burlesque et avec démesure. Et ce, pour atteindre le crucial qui permet de décortiquer les rapports de soumission/domination qui régissent la quasi-totalité des actes d’une communauté humaine des plus improbables.