Le titre de l’œuvre de Montaigne (Les Essais) a, on le sait, inauguré le sens du genre littéraire essai (réflexion personnelle et libre sur un ou plusieurs thèmes croisés intéressant la vie des hommes). Et ce qu’essaie Montaigne, ce n’est ni « penser pour penser », ni non plus simplement « penser pour voir » (pour un hasard fécond d’enchaînement d’idées), mais bien : penser pour voir ce que ça changerait à vivre. « Et si l’effort de juger autrement pouvait nous aider à être ? », semble-il se demander toujours, nous conviant à nous en assurer. Et le miracle a lieu : en sollicitant constamment l’expérience de la vie (de la sienne et de celles dont il fut partie prenante, témoin, ou lecteur ), l’intelligence même de la vie se fait soudain transmissible.
Mon prof de Terminale disait carrément que Montaigne avait inventé la prose, Descartes la pensée, et Pascal la langue françaises. La prose, telle qu’il la parle en en parlant, c’est sûr :
« Le parler que j’aime, c’est un parler simple et naïf, pareil sur le papier qu’à la bouche ; un parler succulent et nerveux, court et serré, non pas tant délicat et peigné que véhément et brusque » (86).