Monna Innominata, Christina Rossetti (par Didier Ayres)
Monna Innominata, Christina Rossetti, éd. Les Défricheurs, octobre 2021, 80 pages, 12 €
Amour sacré
Connaissant peu la biographie ni même l’œuvre de la sœur de Dante Gabriele Rossetti, il m’a fallu chercher un équilibre entre ce que je lisais et l’impression d’étrangeté qui se dégage de ces pages. J’ai donc balancé assez longtemps dans mon interprétation. J’y ai vu, au premier abord, une poésie de l’amour charnel, de l’amour profane, ne sachant pas de quel amour la poétesse s’approchait dans ses vers. Comme je lis ces jours derniers Le Divân de Hafez de Chiraz où, dans le sens contraire, j’ai vu l’amour sacré derrière les lignes du libertin (fût-il vraiment un libertin ou un soufi ?). Ces deux hésitations montrent clairement que profane ou sacré il faut garder simplement l’amour et ne pas choisir, garder la trace mystique de Dieu, dans la chair, et la trace charnelle de Dieu dans le Ciel, dans la prière.
Mais assez loin des vers de Marie Noël (même si là encore les époques se télescopent), la poésie de Christina Rossetti s’adresse à un Dieu moins convenu. Car ici, pas d’accès direct, mais l’intercession d’une brûlure, d’une flamme. Donc un amour non direct, mais passant par la poésie – lieu merveilleux de l’union du prosaïque, du concret et de l’absence de matière, de l’abstraction et de Dieu. C’est l’être spirituel qui importe, et peu la Christina de chair. L’écrivaine cherche le retour à l’œuvre sacrée. Elle cherche des images pour la définir, la circonscrire peut-être.
Je rêve de toi en me réveillant : plutôt devrais-je
Rêver de toi encore en dormant, non réveillée ;
À rechercher en rêve le cher ami absent,
Comme les oiseaux enfuis, une fois l’été achevé.
Nous sommes proches en un sens du mystère interprétatif du Cantique des cantiques. Je crois que clairement, le Christ œuvre la voie qu’a choisie l’auteure, comme l’amour sacré préside à ce merveilleux échange entre l’épouse et l’époux. Mais pas de dévotion plutôt l’extase, pas de décorum sulpicien mais une gravité dans l’échange avec la personne spirituelle. On est adossé à une poésie mystique, un poème qui ne cherche la gloire que céleste, et dont le destin terrestre se subordonne à la part sacrée de l’âme.
Ajoutons que ce livre est fait dans un esprit particulier, celui de conduire à découvrir ou relire des textes importants, mais armé d’autres textes en relation avec l’œuvre choisie. Ici, une réflexion de Virginia Woolf, et une sorte de préface de la traductrice, Raluca Belandry. Ce qui fait que l’impression est plus grande, et rapproche paradoxalement le lecteur des poèmes. Ce qui compte à mon sens c’est d’entrer dans le texte avec ses armes, ses défauts de lecture et ses tropes personnels ; du reste comment faire autrement ? Pour moi Monna Innominata se détache très fortement et implique beaucoup le liseur. Et me voilà fort d’une découverte mémorable.
Didier Ayres
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