Il est d’usage aujourd’hui qu’un auteur dédicace le livre qu’il publie, qu’il s’agisse d’un roman, d’un recueil de nouvelles, de poèmes ou d’articles, d’un ouvrage à vocation scientifique, etc. Chacun y va de sa petite dédicace à un parent, à des proches, à un maître… Et je parle bien ici de la dédicace qui est imprimée, pas celle griffonnée plus ou moins à la hâte sur un coin de table à l’occasion d’une présentation, d’une rencontre ou d’un salon du livre. On peut aussi trouver des remerciements, plutôt en fin d’ouvrage, à ceux qui ont rendu possible l’écriture et la publication de l’œuvre. Parfois il n’y a rien, ou presque rien, tant publier un livre semble devenu une chose somme toute ordinaire, banale. Combien de livres sont en effet publiés, exposés quelques semaines, pour finir par repartir au pilon ? Beaucoup. Trop. Notre temps a, il est vrai, érigé le gaspillage en art de vivre. Il n’en était pas de même au temps de Cervantès où publier un livre était réservé à bien peu, tout comme les lire sans doute. Etre édité relevait d’un privilège et nécessitait reconnaissance et protection, soutien. Imagine-t-on aujourd’hui une œuvre éditée devant rendre autant d’hommages et de remerciements, de dédicaces – pour nous, bien obséquieuses – que le fait Cervantès ? L’on rirait sans doute d’une telle flagornerie, espérant qu’au moins leur auteur le fait par dérision, par humour, craignant trop que la flagornerie ampoulée, hors d’âge et hors de propos, nous procure une honte étrange : celle du lecteur vis à vis du livre qu’il a entre les mains.