Un journal ? (Lecture de Don Quichotte de Cervantès en La Pléiade - 1)
Un journal de lecteur, ou plutôt de lecture ! Qu’est-ce donc que cela ? Un journal où un lecteur parle de lectures. Ou de la lecture en général. Une chronique au jour le jour, au fils de lectures… Sans chercher à jouer le critique littéraire mais plutôt en interrogeant son propre rapport aux mots et histoires lus, aux livres, aux auteurs.Quel intérêt pour ceux qui d’aventure liraient ce « journal de lecture » ? Ça, je ne sais pas vraiment. Ou plutôt : je ne sais vraiment pas. Par contre je pense que poser la question en terme d’intérêt, presque au sens financier du terme, cela n’a pas beaucoup de sens. Ou alors cela en a, mais a contrario. Car c’est bien la dernière motivation qui pousse le blogueur-lecteur à se livrer à cet exercice.
L’idée m’en est venue à partir d’un projet de lecture qui m’attend, parmi d’autres. Un projet de lecture qui va prochainement m’amener à découvrir le Don Quichotte de Cervantès qui vient d’être édité dans une nouvelle traduction par La Pléiade, quadri-centenaire oblige. Je dis bien « découvrir » car je ne l’ai jamais lu. Pas même un extrait. Bien sûr, comme beaucoup, j’ai entendu parler du chevalier à la pâle ou triste figure et de son compagnon, de sa jument efflanquée, de ses moulins à vents, autant que de la Madeleine de Proust (un autre monument littéraire sur les chemins duquel je me suis perdu sans jamais en venir à bout).
Ce n’est pas rien de s’attaquer à un récit dont une armée de spécialistes n’ont cessé de dire depuis des décennies, des siècles même, qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre. D’une pièce tellement essentielle de la littérature mondiale, de l’histoire de la littérature mondiale, que l’on a plutôt honte d’avouer que l’on ne l’a pas lu alors que l’on passe, dans le cercle très restreint de nos connaissances, pour un « gros » lecteur, qui plus est curieux des littératures hispaniques.
M’est venue alors la question de ce que cela voulait bien dire, chef-d’œuvre. Qu’est-ce qui fait qu’un livre est de ceux « qu’il faut avoir lus » ? Qu’est-ce qui fait qu’un livre serait encore à lire, quatre siècles après la mort de son auteur ? Que peut trouver un lecteur de ce début de XXIe siècle dans le récit des aventures d’un personnage imaginaire publié au début du XVIIe siècle dans une langue qui lui est inaccessible ? Au delà des réponses trop attendues ou convenues sur la culture, sur l’histoire, sur la mémoire ou que sais-je encore, il y a pour moi, « gros » lecteur, une vraie question à laquelle j’ai l’impression de ne pas avoir de réponse satisfaisante. Question que l’on peut aussi transposer à d’autres arts, à d’autres œuvres ou à d’autres « produits culturels » comme certains disent aujourd’hui. C’est peut-être même faute d’avoir su trouver une réponse à cela que j’ai presque cessé de fréquenter les salles de concert ou de théâtre, que je ne vais plus qu’exceptionnellement au cinéma (même via la télé ou les DVD). Aujourd’hui, seule la lecture a résisté à mon repli de spectateur, de mélomane, de cinéphile.
Peut-être cette désaffection a-t-elle une origine dans la surabondance de l’offre, comme l’on dit en terme de marché et d’analyse économique. De la même façon que la photo numérique en saturant notre univers d’images, favorisant un rapport compulsif au cliché, à l’instantané, m’a détourné pour de longues années du plaisir de la photographie, l’accès à tout peut sans doute conduire à ne rien vouloir, à ne plus s’intéresser à rien, puisque c’est pour rien, pour presque rien, que l’on peut tout avoir.
L’autre chose qui me pousse à expérimenter ce « journal », c’est le fait que l’on attende de moi que je dise quelque chose de cette lecture, que j’en fasse une sorte de critique, d’évaluation… Mais qui suis-je pour prétendre pouvoir faire cela ? N’ai-je pas accepté là un défi que je ne serai jamais en mesure de relever ? Serai-je à la hauteur du texte que je vais découvrir ? Rien n’est moins sûr ! C’est que je ne suis que lecteur. Un simple lecteur, pas un lecteur au sens où l’université ou l’église peuvent entendre et définir le terme. Juste quelqu’un qui lit des livres. Qui lit des livres avec peut-être au fond d’un repli de son cortex cérébral le désir d’écrire autant que de lire. D’être « écriveur » autant que lecteur. Lu autant que lisant. Peut-être. Sûrement. Certainement même.
Alors l’idée d’un journal de lecteur est venue puis s’est tranquillement imposée. Comme tentative pour comprendre le sens de cette étrange activité, ses tenants et ses aboutissants, ses modalités, ses paradoxes, ses écueils, ses faiblesses ou ses incohérences… Pour autant qu’elle en ait. Peut-être la tentative tournera-t-elle court. Peut-être pas. D’autres ont déjà dû la tenter, c’est plus que probable. Je ne me souviens pas en avoir entendu parler. Ou je ne veux pas m’en souvenir. Mais même si cela était, la question serait encore là, sans réponse. Elle est encore là. Alors va pour la tentative.
Dernière justification, si je puis dire. Cela est envisagé au travers d’un blog et non d’un cahier strictement privé. Pour faire mon intéressant ? Ce serait un peu ridicule. Peut-être pour s’engager dans une certaine exigence en l’exposant à des tiers anonymes. Ce serait plus pertinent.
A suivre…
Marc Ossorguine
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