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Critiques

Le mur de l’Atlantique – Olivia Resenterra (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 12 Janvier 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Les éditions du Rocher

Le mur de l’Atlantique – Olivia Resenterra – 176 p. – 16,50 euros – 11/01/2023 Edition: Les éditions du Rocher

 

« Dans la chambre de la Nonna, plus aucune trace du grand lit en bois dans lequel je dormais avec elle, ni du crucifix garni d’un rameau d’olivier placé à sa tête, ni de la banquette d’appoint où couchait mon frère, bordé jusqu’au menton comme s’il risquait de chavirer en pleine mer. »

 

Le mur de l’Atlantique est un livre inspiré par les souvenirs des grands-parents, la mémoire des lieux de l’enfance, les instants de bonheur partagé, sans jamais tomber dans des niaiseries romanesques. La mémoire est toujours musicale quand elle est ainsi célébrée, quand elle s’accorde au temps retrouvé, et fait surgir des mélodies et des chansons italiennes, pour ne pas oublier d’où viennent ces hommes et ces femmes qui ont fondé une famille loin de leur terre natale, et si près de l’Atlantique.

C’est ainsi que cela s’est passé, Natalia Ginzburg (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 10 Janvier 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Denoël, Italie

C’est ainsi que cela s’est passé (È stato cosi, 1945), Natalia Ginzburg, Denoël, 2017, trad. italien, Georges Piroué, 127 pages, 14 € Edition: Denoël

 

 

Qui parle ? Qui est la narratrice de ce roman ? Par profession, il semble que ce soit une femme cultivée et intelligente. Elle est professeur et étudie avec ses élèves les classiques de l’Antiquité, Ovide, Sophocle, Sénèque par exemple. Et pourtant, à suivre son flux de conscience sur ces quelque cent pages, dans la traversée de son histoire dramatique d’amour, on a clairement affaire à une femme simple – entendre simplette. Sa réflexion sur elle-même et les sentiments qui l’animent, sa vision du monde qui l’entoure, la misère morale qui sourd de son propos, tout indique un esprit faible, naïf, soumis, déficient. Le ton même de sa narration, le style du roman, empruntent un vocabulaire élémentaire dans une organisation syntaxique élémentaire. Parfois – rarement – un éclair semble rappeler que nous n’avons pas là une idiote. Et pourtant.

Dans l’ombre de sa sœur. Le dernier secret de Colette. Françoise Cloarec (par Marie-Hélène Prouteau)

Ecrit par Marie-Hélène Prouteau , le Lundi, 09 Janvier 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Biographie, Phébus

Dans l’ombre de sa sœur. Le dernier secret de Colette. Françoise Cloarec, éditions Phébus, 2022. Edition: Phébus

Ce récit de la vie de Juliette, demi-sœur de Colette, s’inscrit dans la veine des ouvrages précédents de Françoise Cloarec, Séraphine, la vie rêvée de Séraphine de Senlis, L’indolente, le mystère Marthe Bonnard. L’autrice aime s’attacher à la part d’ombre et de mystère de certaines vies, sacrifiées ou tombées dans l’oubli de l’histoire.

Le livre s’ouvre sur le mariage en 1884 de Juliette, fille de Jules Robineau-Duclos. Toute la famille est là, Sidonie Landoy, dite Sido, sa mère, le « Capitaine », son beau-père, ses demi-frères Achille et Léo et la jeune Gabrielle, la petite dernière bien-aimée, la future grande écrivaine Colette. Avec pour décor la maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye, village de Bourgogne. Par-delà cet épisode, c’est toute une saga sur trois générations qui prend vie dans ce livre. Elle campe un univers provincial fin de siècle et ancre cette biographie dans une époque, une terre et une maison de vieilles pierres. L’actuelle Maison de Colette, rue de l’Hospice, avec son jardin, ses murs, son intérieur, pôle attractif dans le livre -Françoise Cloarec s’est rendue sur les lieux pour être au plus près du réel. Ses visites ponctuent avec bonheur le fil du récit en un télescopage original entre hier et aujourd’hui.

Jardins de poussière, Ken Liu (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 04 Janvier 2023. , dans Critiques, Les Livres, Science-fiction, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine

Jardins de poussière, Ken Liu, Folio, septembre 2022, trad. anglais (USA) Pierre-Paul Durastanti, 624 pages, 9,90 € Edition: Folio (Gallimard)

Ken Liu est sino-américain : émigré avec sa famille à l’âge de onze ans, fils d’une mère chimiste et d’un père ingénieur, et lui-même devenu ingénieur logiciel pour Microsoft tout en ayant étudié la littérature anglaise, puis le droit. Tout est dit. Ou presque. Disons que si ces données biographiques étaient les termes d’une équation, ils ne pourraient que démontrer l’excellence de Jardins de poussière, le second recueil de nouvelles de Ken Liu publié en français – outre une poignée de romans et une quadrilogie de fantasy toujours en cours de traduction.

En effet, cet auteur emmène le lecteur vers une forme d’étrangeté liée tant aux univers proposés – qui sont souvent « post-humains », ou du moins postérieurs à l’humanité telle que nous la connaissons – qu’à une « touche chinoise » troublante pour le lecteur occidental mais pourtant bienvenue, puisqu’elle semble insuffler une forme de poésie à certaines des vingt-cinq nouvelles ici recueillies. Cette poésie est peut-être ce qui permet à ces nouvelles d’échapper à l’étiquette « hard science » : Ken Liu a un esprit scientifique et refuse de laisser le lecteur dans le flou de notions vagues (on peut même enfin comprendre le pourquoi et le comment des cryptomonnaies au fil de Empathie byzantine, qui évoque aussi avec une relative férocité le « marché » des ONG) – tout semble plausible dans ces récits.

Ainsi parlait Épicure par Gérard Pfister (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 03 Janvier 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Anthologie, Arfuyen

Ainsi parlait Épicure, fragments inédits choisis et traduits du grec et du latin par Gérard Pfister, Orbey, Arfuyen, 8 septembre 2022, 188 pages, 14 €. Edition: Arfuyen

 

Il faut être prudent, nous le savons tous, lorsque l’on parle de complot ou de conspiration, qui impliquent tous deux un secret absolu, alors que, le plus souvent, le plan est posé sur la table, accessible à quiconque veut – ou peut – le voir et a la curiosité de le consulter. Dans le cas particulier d’Épicure, cependant, tout se passe comme si une double conjuration avait été à l’œuvre. D’une part pour faire disparaître matériellement son œuvre : les doxographes antiques rapportent qu’il avait composé trois cents volumes. On peut toujours débattre quant à savoir s’il s’agissait de livres distincts, autonomes au sens moderne du mot, ou de rouleaux séparés (il en fallait plusieurs pour transcrire un traité entier). Quoi qu’il en ait été, l’ensemble était considérable et la comparaison avec le massif des œuvres de Platon, Aristote ou Plotin qui nous sont parvenues s’impose. Or, de cet ensemble très important, ne subsistent que trois lettres, des maximes et divers fragments. D’autre part, à défaut d’un effacement complet (la survie du peu qui subsiste tient à une succession improbable de miracles philologiques et archéologiques), la pensée d’Épicure a fait l’objet d’un gauchissement et d’un travestissement trop systématiques pour ne pas avoir été délibérés.