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Critiques

Adrienne Mesurat, Julien Green (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 14 Février 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Le Livre de Poche, En Vitrine

Adrienne Mesurat, Julien Green, 377 pages, 7,90 € Edition: Le Livre de Poche

 

Adrienne Mesurat, assurément, a sa place dans les grandes figures de la littérature française. Julien Green, à travers cette femme recluse dans sa vie autant que dans ses rêves, comme dans une âme hermétiquement close, nous offre un portrait unique d’obsessionnelle, vivant dans une famille d’obsessionnels. Dans sa préface, Julien Green souligne que son roman a été souvent accueilli, à son grand dam, par le signalement de son caractère freudien. Étonnamment, c’est plus encore son caractère anachroniquement « lacanien » qui va nous intéresser ici.

Adrienne Mesurat est un roman borroméen. Partant d’un trio de personnages liés étroitement les uns aux autres, Green va défaire le nœud qui les tient à la manière d’un nœud borroméen* – passion de Jacques Lacan – c’est-à-dire en défaisant un anneau du nœud qui libère du coup les deux autres. La métaphore du nœud borroméen est encore plus frappante quand on sait que, pour Lacan, les trois anneaux (ou maillons) du nœud symbolisent le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire. Or il est entendu en psychanalyse que la folie tient à la confusion de ces trois ordres. Adrienne Mesurat, au long de ce roman, va peu à peu fusionner (« confusionner ») les trois, s’écartant tragiquement de leurs dimensions propres.

Le Secret de René Dorlinde, Pierre Boutang (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Lundi, 13 Février 2023. , dans Critiques, Les Livres, Essais, La Une Livres

Le Secret de René Dorlinde, Pierre Boutang, Les Provinciales, mars 2022, 190 pages, 18 €

 

Ceux qui ne gardent de Pierre Boutang que l’image d’un camelot du roi faisant le coup de poing contre « une meute de gauche » (l’expression est de George Steiner), ceux qui ne connaissent de lui que le polémiste éruptif révélé au grand public en 1987 par les deux émissions d’Océaniques, seront surpris à la lecture du Secret de René Dorlinde. Ce bref roman fut publié en 1947, tandis que George Orwell, sur son île de Jura, travaillait à son chef-d’œuvre et la comparaison n’est pas gratuite. Comme 1984, Le Secret de René Dorlinde est une dystopie politique, mais une dystopie douce, presque proustienne. Même si on devine bien qu’elle existe (parce qu’une dictature ne s’impose et ne se maintient pas autrement), la violence inhérente aux utopies et aux dystopies n’est pas montrée. Il n’y a dans ce roman rien qui évoquerait la salle 101 d’Orwell. En plus de la violence (et ceci en constitue une autre forme), les dictatures et les dystopies se caractérisent par leur rapport au temps : l’idée d’un « sens de l’Histoire », l’avenir qu’elles entendent contrôler en se prétendant immortelles (les hiérarques staliniens, chinois et nord-coréens ont tiré les leçons du tausendjährige Reich qui s’effondra en douze ans) et en imposant leur sceau sur chaque aspect de l’éducation depuis la naissance ; mais également le passé, qu’elles cherchent inlassablement à modifier.

Le mage du Kremlin, Giuliano da Empoli (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 10 Février 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Gallimard

Le mage du Kremlin, Giuliano da Empoli, Gallimard, avril 2022, 286 pages, 20 € Edition: Gallimard

 

Voilà un premier roman, dû à un prof de Sciences Po ; et cela se sent. On dirait que le récit qu’on vient de lire, le témoignage d’un « stratège » avide de pouvoir, Baranov, s’adresse à des étudiants censés y lire toute l’aventure d’un tyran russe, dénommé Tsar, et sa cour de prétendants, de trublions, d’arrivistes, d’ambitieux. On s’attendait à un vrai roman, qui puisse enflammer, et faire de l’histoire proche un tremplin pour notre imagination, comme l’avaient fait avant Da Empoli l’immense Soljenitsyne ou la non moins remarquable Morante avec sa Storia. Chez eux, il y avait la nécessité de l’histoire, son ampleur, et leurs personnages inoubliables.

Ici, que retenir comme personnages dignes de nous emporter ? Un Poutine odieux ? Un Vadim Baranov, perclus d’ego et de pouvoir ? Un Berezovsky implorant ? Les oligarques embastillés ?

Tous tes amis sont là, Alain Dulot (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 09 Février 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, La Table Ronde

Tous tes amis sont là, Alain Dulot, janvier 2022, 176 pages, 16 € Edition: La Table Ronde

« Vous aviez le goût de la bohème et de l’absinthe, de l’ivresse et du vagabondage. Et puis, vous aviez du goût l’un pour l’autre et pour ce que, par dérision – mais la dérision n’est jamais que le masque de la pudeur –, vous appeliez la « sesque ». Très tôt, la fière charnelle a dévoré tes sens, et tu as toujours aimé les bonheurs de l’épiderme, auxquels tu avais été initié dans une maison d’illusions, à dix-huit ans ».

Regarde, tous tes amis sont là ! est la phrase lancée par Eugénie Krantz aux obsèques de Paul Verlaine. Une phrase devenue le nom d’un roman, un roman qui accompagne les derniers jours du poète, et son dernier voyage, qui n’a rien d’un vagabondage et qui le conduit avec ses amis et une foule d’anonymes, au cimetière des Batignolles, dans le caveau familial, où à jamais le temps de la « sesque » aura disparu. Le roman s’ouvre sur le 39, rue Descartes, où s’est installé Paul Verlaine, pour s’achever dans ce cimetière où tes amis t’accompagnent, notamment Jules Renard dont le regard picore ce qui deviendra les piques de son Journal, Maurice Barrès qui t’admire et te soutient, François Coppée de l’Académie française, Stéphane Mallarmé, autant le poète est obscur parce qu’il a fait le choix délibéré des ténèbres, autant l’homme a toujours été attentif, amical et dévoué à ton égard, le jeune Paul Valéry, le pétillant Robert de Montesquiou, et ton éditeur.

A Rebours, Joris-Karl Huysmans (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Mercredi, 08 Février 2023. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard), En Vitrine, Cette semaine

A Rebours, Joris-Karl Huysmans, Folio, août 2022 (édition : Pierre Jourde ; gravures : Auguste Lepère), 592 pages, 8,90 € Edition: Folio (Gallimard)

 

Flaubert avait pour ambition d’écrire un roman sur rien, ou presque ; ce sera Bouvard et Pécuchet, inachevé. Huysmans, quatre ans après la disparition du maître, publiera un roman où effectivement rien ne se passe, où les seuls événements sont avortés : À Rebours. Dix ans après un premier recueil de poèmes d’inspiration romantique, dix années où Huysmans s’inscrit dans la veine naturaliste (il participe aux soirées de Médan, organisées par et autour de Zola), le temps de trois romans et une longue nouvelle, il pousse jusque dans ses derniers retranchements le naturalisme et invente quasi le symbolisme en narrant la vie recluse d’un esthète maladif, tant de corps que d’esprit, Des Esseintes.

Comme à l’habitude lorsqu’il est question d’un classique lu ou relu des décennies ou des siècles après sa première publication, l’on est en droit de s’interroger : quel intérêt à l’ouvrir, à s’y plonger quelques heures, alors que foisonne une actualité éditoriale plus en phase avec le monde contemporain ?