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Nevernight, Tome 1, N’oublie jamais, Jay Kristoff (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal 28.06.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Science-fiction

Nevernight, Tome 1, N’oublie jamais, Jay Kristoff, éditions J’ai Lu, Flammarion, octobre 2022, 784 pages, 10,50 € ; Tome 2, Les grands jeux, mars 2023, trad. anglais (Australie) Sébastien Guillot, mars 2023, 800 pages, 11 €

Nevernight, Tome 1, N’oublie jamais, Jay Kristoff (par Didier Smal)

 

Une formule permet de comprendre le succès mondial de la série de fantasy Nevernight : redoutablement efficace. Rien à redire : l’Australien Jay Kristoff mène son récit tambour battant, tient le lecteur en haleine (même si le lecteur aguerri sait plus ou moins dans quelle direction se dirige l’histoire), joue du rebondissement, de l’alternance parfaite entre scènes violentes et profondeurs (voire ténèbres) psychologiques, le tout parsemé de considérations oscillant entre religion et politique d’un univers spécifique aux multiples contrées et mœurs, d’un rien de désir sexuel connaissant son apogée en une poignée de scènes explicites, et de notes humoristiques noires au possible. Nevernight, à l’image de son héroïne Mia Corvere, est une machine de guerre destinée à vaincre les réticences de tout amateur de fantasy, qui se retrouve à tourner les pages de façon quasi frénétique.

La trame est pourtant classique au possible : Nevernight raconte l’histoire d’une jeune femme dont la famille a été détruite sur ordre du « consul itreyen » Julius Scaeva ; alors âgée de dix ans, Mia Corvere est recueillie par un certain Mercurio, puis découvre en elle une puissance rare (elle est une « enténébrée ») qui, associée à une formation douloureuse de « Lame » au sein de « l’Église rouge », une secte d’assassins, va lui permettre d’assouvir son désir de vengeance tout en connaissant de multiples aventures. Cette trame est tellement usée qu’on aurait volontiers douté que qui que ce soit puisse y tisser une histoire dont les coutures (au fil blanc) ne se verraient pas… Meurtre de la famille, formation, vengeance, pfiout… Mais Kristoff y arrive par un biais multiple lié à une imagination puissante, dont le moindre n’est pas l’outrance : l’auteur écrit sans crainte de l’hyperbole, transformant ainsi cette « enténébrée » en un être surpuissant, capable à lui seul de détruire une centurie de Luminati, et l’on adhère à cette surpuissance car Mia ne la contrôle qu’à peine, ne la comprend pas voire en souffre ; la quête est aussi, pour cette jeune femme complexe, une quête de Soi, de son identité profonde. De surcroît, malgré une tendance lourde à faire gicler le sang (ou à s’y baigner pour voyager – comprenne qui lira) et évoquer les conséquences physiologiques du moindre mal-être (c’est fou ce qu’on peut vomir dans Nevernight), Kristoff parvient à éviter le piège moderne du sordide par un juste dosage, par une capacité sage à éviter la phrase de trop, celle qui ferait soupirer de lassitude (ou de dégoût) le lecteur.

Autre qualité de Nevernight, et non des moindres, l’invention d’un monde. Certes, Venise, Rome et Florence, le goût du pouvoir et de l’assassinat des Médicis, sont les racines d’une République dont la capitale est Sepulcra, aux mœurs décadentes et pourtant empreintes d’une religiosité digne d’un Savonarole, mais Kristoff offre au lecteur une mythologie nouvelle, un rapport différent à la magie, une ironie bienvenue dans un jeu de notes en bas de page que l’on soupçonne inspiré de celui créé par Pratchett – il offre un décalage, et donc l’envie d’en savoir plus. D’autant que le narrateur, qui se veut chroniqueur réaliste de la vie et des combats de Mia Corvere car témoin privilégié et unique de son existence, sème le doute dans l’esprit du lecteur tout en évitant de donner suffisamment d’indices pour laisser deviner la suite – en particulier, le retournement total d’un personnage vers la fin de N’oublie jamais est totalement imprévu mais prévisible lorsqu’on repense à tout ce qui précède. Habile démonstration de l’artisanat maîtrisé par un bon faiseur de romans au style fulgurant.

Quoi qu’il en soit, en savoir plus, du moins au format poche pour l’heure, cela attendra : seuls les deux premiers tomes de Nevernight ont été publiés dans ce format – le troisième, L’Aube obscure, est disponible chez Saxus. Disons que pour qui voudrait s’évader dans un univers de dark fantasy puissante et teintée d’humour noir quelques heures durant, N’oublie jamais et Les grands jeux représentent deux tiers du trajet, éprouvant et haletant, à parcourir en compagnie de Mia Corvere. Et que dans le domaine très à la mode de la fantasy, Nevernight, malgré ou à cause de ses outrances et audaces, représente le haut du panier.

 

Didier Smal

 

Jay Kristoff (1973) est un auteur de fantasy et de science-fiction. Son œuvre, multi-primée et traduite dans de nombreuses langues, dont l’arabe, est avant tout destinée à un public de jeunes adultes férus d’aventures extraordinaires.

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A propos du rédacteur

Didier Smal

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Didier Smal, né le même jour que Billie Holiday, cinquante-huit ans plus tard. Professeur de français par mégarde, transmetteur de jouissances littéraires, et existentielles, par choix. Journaliste musical dans une autre vie, papa de trois enfants, persuadé que Le Rendez-vous des héros n'est pas une fiction, parce qu'autrement la littérature, le mot, le verbe n'aurait aucun sens. Un dernier détail : porte tatoués sur l'avant-bras droit les deux premiers mots de L'Iiade.