Flamboyants au crépuscule, Christian Dufourquet (par Patryck Froissart)
Flamboyants au crépuscule, Christian Dufourquet, Editions Maurice Nadeau, Les Lettres Nouvelles, mai 2023, 110 pages, 16 €
Edition: Editions Maurice NadeauUn homme, dont on apprend en suite de lecture qu’il est écrivain, allongé, sur un lit : telle est la position initiale du narrateur qui se dédouble en un IL qu’il met en scène dans la rétrospection, par une succession d’analepses dénuées d’ordre chronologique, de ce qui lui revient aléatoirement, de façon décousue, des moments les plus signifiants du cours de sa vie, flamboyants au crépuscule. Il gît là immobile, plausiblement incapable de bouger, sauf peut-être pour écrire, transcrire ce que perçoit son esprit seul pouvant se mouvoir au travers de l’espace et du temps. On appréhende qu’il plane entre la vie et la mort.
Il ouvre les yeux et se voit coincé à mi-hauteur d’une échelle qui paraît s’agrandir dans les deux directions. En haut, un plafond démesurément étréci où pend peut-être une ampoule à atteindre. En bas, un monde d’ombres qui se chevauchent, les vagues d’une mer irréelle. Et lui, au milieu ou à peu près, un insecte à la carapace chitineuse, qui se demande, si tant est que ses antennes recroquevillées autour de son corps embrumé lui procurent une conscience a minima de son environnement, ce qu’il fait là, en suspens entre deux mondes…
L’extrait, dans lequel s’insère cette réminiscence de la Métamorphose de Kafka, est représentatif de la projection ininterrompue d’images mouvantes qui constitue la matière romanesque du texte, dans laquelle s’inscrivent de façon récurrente tantôt l’ampoule symbolique qui ici oscille en un lointain inatteignable, ailleurs se retrouve dans la main du personnage (mais est-ce la même ?) tantôt cette échelle au long de quoi le personnage a l’impression que son être en cours de désincarnation monte et descend au gré des niveaux alternatifs de conscience, selon l’évolution de la morbidité, selon la nature des souvenirs qui se succèdent.
Domine dans le texte cependant l’impression de la chute.
Tomber à une vitesse infinitésimale. L’exact négatif de la vitesse de la lumière. Combien d’atomes d’espace peut-il, à cette non-vitesse, courber autour de lui ? Un ? La moitié d’un ? L’embryon d’une pensée peut-être ? Une phrase écrite par un corps dont la température avoisine le zéro absolu ?
A plusieurs reprises, émergent des associations narratives fugitives entre l’échelle, cette ampoule qu’il tient en main et celle qu’il voit tout là-haut, et des allusions à une ampoule défaillante à remplacer. En corrélation, le titre de la première partie, Tomber, laisserait à entrevoir un accident domestique ayant provoqué la catalepsie dans laquelle est plongé le personnage, annonçant logiquement le titre de la deuxième partie : S’effacer, et ses premières phrases :
« Tombé ? Pas tombé ? Que reste-t-il de ses amours, ses passions, ses désirs ? Finies les lectures fiévreuses, finies les amours et les amitiés, les longues heures passées à contempler sous toutes les latitudes la misère et la beauté du monde ».
Qu’importe ?
L’écriture est couramment d’élégante et impressive facture poétique, faite le plus souvent d’un flot continu de phrases longues, au phrasé agréable à la lecture et au lyrisme en concordance avec les multiples références, parfois incantatoires, à Lautréamont.
Les résurgences d’écrits et d’éléments des biographies d’Artaud, Rilke, Kafka, Proust, Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Celan, entre autres, concourent à mailler le roman dans un réseau intertextuel, dans un canevas de culture littéraire qui ne peuvent que plaire au lecteur ayant fréquenté les géants.
Quand il relit Artaud aujourd’hui, à des années-lumière de celui qu’il fut, ne partageant plus les angoisses les peines ni les rêves de cette ombre d’autrefois, c’est comme si ses paupières s’enflammaient à nouveau au contact d’une comète traçant un arc de feu dans un abîme que lui seul perçoit. Car ce qui importe, et c’est là le cilice qui brûle la poitrine et coupe en l’étreignant le souffle de tout lecteur, c’est moins la beauté d’un monde neuf qui se déploie que la réalité d’une phrase qui se hausse au niveau d’une vérité possible…
A d’autres moments on assiste aux intrusions de Bruno Schulz, d’André Hardellet, ou… de Bouvard et Pécuchet, du compositeur Dowland, ou encore, dans un moment de spiritualité, à celle du Dieu de Qohélet.
Ces évocations bienvenues de champs culturels, philosophiques, métaphysiques ayant marqué et influencé l’existence et l’écriture du narrateur sont autant de traits qui, s’ajoutant à celles, parfois intimistes, de relations sociales, amoureuses (en particulier son histoire douloureuse avec Ada), à des remontées de sensations éprouvées lors de voyages vécus, en particulier d’un séjour à Tamatave, et à des réflexions intéressantes sur l’utilité ou la vanité d’écrire, contribuent à faire du personnage un intime dont le lecteur suit et accompagne avec empathie les ultimes méandres de la conscience en voie d’extinction exprimant une vision globalement pessimiste du monde et assurément négative de soi.
Tout lui échappe. Tout s’échappe. Continuer ou pas. Tout est factice et dégoûtant, mensonges et lubies, grimaces d’un visage accroché un temps à un crâne aligné avec d’autres dans les catacombes du Temps.
Patryck Froissart
Christian Dufourquet est né en 1947, à Oloron Sainte-Marie. Ingénieur de formation, poète et écrivain, après de nombreuses années passées en Afrique, il vit actuellement à Chinon. Chez le même éditeur il a publié : Nous ne cessons de nous dire adieu (en 2000), Mourir dormir tuer peut-être (en 2003), Franz et Mania (en 2005), Un chapeau dans la neige (en 2011) ; et aux Editions Soupirail, A la cave comme au ciel (en 2015).
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