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Critiques

Les Papillons de Kracov, Quand nous ne lirons plus les livres sous la mer, Sylvie E. Saliceti (par Marie-Hélène Prouteau)

, le Jeudi, 18 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Poésie

Les Papillons de Kracov, Sylvie E. Saliceti, Éd. du Canoë, mars 2021, 63 pages, 14 €

Ceux qui ont lu les précédents recueils de poésie de Sylvie E. Saliceti connaissent l’étonnante inventivité qui caractérise l’écriture de cette poète. Les Papillons de Kracov confirment cette spécificité. Ces huit chants en vers libres et proses brèves se déploient à partir de l’évocation des derniers pêcheurs de corail répartis entre la Corse et l’Italie.

« Quand le corailleur descend le long de la corde à singe

il accomplit le geste

grave

des enfants

qui entrent dans la ronde

il descend

rejoindre l’humanité

des grands fonds »

Raymond La Taupe, Détective, Camilla Pintonato (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 18 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Jeunesse, Seuil Jeunesse

Raymond La Taupe, Détective, Camilla Pintonato, février 2021, 48 pages, 11,90 € Edition: Seuil Jeunesse

Un joyeux détective fouisseur

Ce livre pour la jeunesse est illustré et écrit par Camilla Pintonato, née en Italie en 1991. Elle a étudié l’illustration et le graphisme à Milan et à Urbino, ainsi que le design textile. Le récit porte un titre intrigant, sachant qu’une taupe est un insectivore fouisseur, un mammifère presque aveugle. Ici, prénommé Raymond, à l’aide d’une loupe, le placentaire creuse, chasse, et de surcroît enquête tel un policier – un privé en l’occurrence. Raymond, monsieur taupe, est l’espion au service des justes causes et du démêlage des affaires obscures.

Bien entendu, conformément à l’espèce, Raymond vit en sous-sol, confortablement installé dans le ventre de la terre, dans un appartement aménagé au creux d’une galerie souterraine. Néanmoins, Raymond se languit et rêve d’autre chose, même s’il régale de ses talents culinaires ses cousins et compatriotes hérissons, mulots, lapins, écureuils, oiseaux – les habitants de la campagne et de la forêt. Les lectures vont entraîner monsieur Raymond à devenir détective. Son odorat, son intuition et sa perspicacité comptent parmi ses qualités principales. Il dessine aussi, et tente de créer un parfait portrait-robot afin d’éclaircir son enquête. Raymond le casanier se résout à sortir enfin de sa tanière pour des investigations de terrain.

Jusqu’à la mort, Amos Oz (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mercredi, 17 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Nouvelles, Gallimard, Israël

Jusqu’à la mort, novembre 2020, trad. hébreu, Rina Viers, 160 pages, 9 € . Ecrivain(s): Amos Oz

 

« C’est alors que Jérusalem cessa de leur sembler un but, un endroit où se déroulent des aventures glorieuses. Un changement s’opéra. Les hommes rompaient le silence prolongé pour dire : “A Jérusalem” » (p.53).

« Invisible je scruterai sans cesse l’horizon marin. (…) Mais quand soudain surgiront les gris navires aux confins de l’horizon marin, je serai le premier à donner l’alerte. (…) Je donnerai l’alerte jusqu’à en perdre le souffle. Jusqu’à l’extrême limite de mon amour » (p.160).

Ces deux passages, tirés des deux nouvelles de Jusqu’à la mort, se font face, en miroir.

Le premier est le récit d’une croisade pour délivrer Jérusalem, qui échoue et s’échoue dans les ruines d’une abbaye ; le second, celui d’un vieux conférencier qui attend « jusqu’à la mort » la fin des temps, l’abordage et l’invasion par les Russes de la terre d’Israël.

Suite en do mineur, Jean Mattern (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Mercredi, 17 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Roman, Sabine Wespieser

Suite en do mineur, Jean Mattern, mars 2021, 161 pages, 17 € Edition: Sabine Wespieser

 

Comment faire face à la douleur d’une rupture, comment amortir le choc d’une perte ? C’est à ce questionnement qu’est consacré le roman de Jean Mattern, Suite en do mineur.

Robert Stobetzky est un homme d’âge mur, qui participe à un voyage organisé en Israël, par l’entremise de son neveu Emile qui l’a poussé à l’accomplissement de ce déplacement. Prisant très moyennement les circuits organisés, Robert, juif non pratiquant, dont les parents originaires d’un shtetl ukrainien ont miraculeusement échappé à la déportation en se cachant dans la campagne française, s’isole rapidement du groupe. Il arpente la Via Dolorosa dans la vieille ville de Jérusalem et croit y reconnaître Madeleine, une femme qui l’a aimé et déniaisé il y a trente ans à Paris en 1969.

Cette vision d’un autre temps devient alors le prétexte pour démêler les fils de la mémoire, ses mécanismes, ses lois parfois. Ainsi, le narrateur revisite-t-il la notion de deuil et parvient à la circonscrire et la définir :

L’Ancêtre, Juan José Saer (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mardi, 16 Mars 2021. , dans Critiques, Les Livres, La Une Livres, Amérique Latine, Roman, Le Tripode

L’Ancêtre (El entenado), Juan José Saer, trad. espagnol (Argentine) Laure Bataillon, 173 pages, 10 € Edition: Le Tripode

 

Un roman de voyage sur les conquistadores du XVIème siècle ? Un reportage anthropologique sur les premières tribus indiennes découvertes ? Ce pourrait être ça, mais voilà, ça ne l’est pas du tout. Juan José Saer propose dans la plongée du héros-narrateur – le mousse du navire-amiral de trois galions en quête de la route des Indes – dans une tribu d’Indiens quelque part vers le Rio de la Plata, une véritable expédition archéologique dans l’histoire de l’être humain, une expédition qui, très au-delà de la géographie ou de l’anthropologie, nous entraîne dans un tourbillon vertigineux jusqu’au cœur de l’absence d’être qui scelle l’humaine condition.

Tout le début du roman évoque Moby Dick. Ce jeune mousse qui parcourt les ports pour trouver à embarquer, assoiffé de large et d’aventure, est le frère littéraire d’Ismaël et, comme lui, il va connaître la rencontre avec l’inconnu absolu. Comme lui, il va connaître l’effroi et la révélation. Comme lui, il est le narrateur.